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Jrn | Dans le ciel de l’Histoire
[30•09•24]
lundi 30 septembre 2024
Comme certaines fleurs orientent leur corolle vers le soleil, ainsi le passé, par une secrète sorte d’héliotropisme, tend à se tourner vers le soleil en train de se lever dans le ciel de l’Histoire.
Walter Benjamin, IVe thèse sur la Philosophie de l’Histoire.
Lundi. Au lever du soleil, la course avec les vagues (personne sur la plage ; je jette un regard sur l’endroit précis où les câbles internet se jettent depuis l’Amérique jusqu’à nous) ; la course ensuite avec la vie elle-même, le temps qui percute le temps pour produire cette espèce de fuite d’où s’écouleraient les secondes à grosses gouttes jusqu’à faire d’un clignement d’œil une matinée entière ; l’après-midi, ouvrir la parenthèse pour écrire, s’enfouir entièrement dans la clôture à huit plis ; la course. Quand on court, on atteint parfois ce point où la pensée s’arrête, où elle bute sur quelque chose qui l’anéantit et où tout à la fois elle semble se vide : ce point à partir duquel la douleur dans le corps n’est plus différente de la sensation d’avoir un corps et au-delà duquel le passé n’est qu’un pas, et l’avenir un souffle, le présent seulement ce lieu où le pas vient de se poser pour s’en arracher. Ce point qui n’existe pas et qui nous traverse à chaque foulée. J’y ai pensé plusieurs fois dans la journée, sans le comprendre.
Ciel fait pour le vide et rempli de drones d’attaques ; ville faite pour qu’on y passe et qui s’effondre sous ses décombres : à Beyrouth, deux bombes ont atteint un immeuble, une seule a explosé, l’autre n’a fait qu’éventrer le bâtiment de part en part, qui s’est donc recourbé sur lui-même. Ces bombes veulent venger octobre et ceux qui possèdent encore dans les souterrains un enfant de neuf mois, qui a peut-être eu un an, on ne sait pas. La réalité se passe de mots. Le ciel, lui, est toujours aussi vide, strié des passages d’avions quand je lève les yeux. J’ai appris que pour se rendre au Japon il faut contourner la Russie par le sud ; on rentre par le Pôle Nord — la réalité est ce trajet fait d’un détour ahurissant pour seulement être possible ; la dernière vision du dernier ours polaire sera celle d’un ciel embouteillé.
Marcher dans Beyrouth via Google Street View et refaire les marches ; sentir d’ici les odeurs, entendre les bruits, percevoir toutes les lumières et les ombres — savoir qu’en les rappelant à moi pour les faire durer je commence à les oublier.