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Jrnl | Aucune solution, pour aucun problème

[25•12•18]

jeudi 18 décembre 2025


Je me suis éveillé très tôt aujourd’hui, dans un sursaut, et je me suis levé aussitôt, embrumé, pris à la gorge par un ennui incompréhensible. Aucun rêve n’en était la cause ; aucune réalité n’aurait pu le provoquer. C’était un ennui total et absolu, et pourtant fondé sur quelque chose. Au fond obscur de mon âme, invisibles, des forces inconnues se livraient un combat dont mon être était le champ de bataille lui-même, et je tremblais tout entier sous cette mêlée sans visage. Une nausée physique de la vie tout entière m’envahit dès mon réveil. L’horreur de devoir vivre se leva de mon lit avec moi. Tout me parut creux, et j’eus l’impression glaciale qu’il n’existait aucune solution, pour aucun problème.

Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquillité (fragment 84)

À l’arrêt et vide de pensées, la voiture entre mes mains vibre doucement ; la file devant moi aussi interminable que celle qui derrière moi attend aussi, le feu là-bas, je ne le vois même pas : la vie est d’attendre et je m’y soumets sans impatience, quand surgit là, de face, lancée dans pente, la trotinette qui zigzague entre les voitures à l’arrêt, et le jeune garçon, visage fermé, coupe brutalement sa file, passe devant mon capot, arrive à ma hauteur, et, croisant mon regard, avant de disparaître en lâchant vers moi son insulte que je n’entendrai pas ; crache sur le pare-brise. La file s’ébroue devant moi. Il est presque sept heures et la nuit a tout recouvert. J’attends un peu avant d’actionner l’essuie glaces, le temps que les types klaxonnent leur haine derrière moi, et que je reparte, appelons ça repartir. Sur les murs quand je tourne la tête, les affiches aux slogans désormais illisibles refusent de disparaître. J’essaie de recomposer le visage du jeune garçon qui m’a rendu coupable d’une faute que je ne cesserai jamais d’expier.

L’expression faire sens : l’expression vivre ensemble ; le mot langue ; celui d’inhospitalité ; la phrase : je m’en veux de le dire ; la pensée : il est trop tard ; le souvenir des pentes de Valparaiso au petit matin ; le sentiment absolu de la colère contre soi, d’être soi : tout ce qu’il faut écarter intérieurement pour seulement parvenir indemne jusqu’au soir, et ne pas y parvenir.

Pessoa sauve, encore et toujours, mais de quoi ?


Quel matin de détresse ! Et quelles ombres s’éloignent de moi ? Quels mystères se sont accomplis ? Non, rien : le son du premier tram, telle une allumette qui s’en va éclairer l’obscurité de mon âme, et les pas sonores de mon premier passant ; ils sont la réalité concrète me disant, d’une voix amicale, de cesser d’être ce que je suis.