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Jrnl | Ce que nous pouvons voir

[08•12•22]

jeudi 8 décembre 2022


Ce que nous voyons n’est pas le code de ce que nous ne voyons pas, ce qui est à voir est très exactement ce que nous voyons, ce que nous pouvons voir.

François Tanguy

C’est bien vrai qu’on est seuls, désormais, et chaque jour davantage — même dans le partage du deuil, et surtout s’il est partagé comme hier ; que la vie soit sans cesse percutée par ce qui la nie, on en fait l’expérience chaque jour (l’épreuve plutôt), mais on ne s’habituera jamais, et si hier, travaillant ensemble, théâtre pour prétexte, à penser le monde dans ses contradictions, ses confusions aussi, la nouvelle de la mort de François Tanguy a fait irruption, ce n’était pas tant pour interrompre la vie que pour lui donner une autre allure, un autre tempo, jeter sur elle d’autres ombres capables de l’agrandir ; n’empêche, même en donnant le change, reste la solitude, et la question de ce qu’il faut en faire.

Puisque le sommeil fut difficile à trouver, il me cueille vers midi : là, des images précises, nettes, d’une maison où je ne cesse de rentrer, je sais qu’il faut aller main gauche pour trouver ma chambre, mais à chaque fois je tourne à droite et c’est une impasse et quand je me retourne, les murs rétrécissent, je parviens à sortir in extremis, et rentre de nouveau, prends à droite au lieu d’aller à gauche et à l’infini : je ne sortirai du labyrinthe minuscule qu’en hurlant et je sais que c’est un autre qui a poussé ce hurlement jeté sur moi, par pitié.

Conduire dans la nuit, ce soir-là qui mordait déjà sur le matin, lance d’étranges rêves éveillés hantés par le Radeau : est-ce à cela que sert quelques spectacles, dire que le monde manque, mais qu’il pourrait bien être là — et venger non pas tant le manque, que la lâcheté ? Le deuil est une pensée du commencement : nous sommes après ; sauf que ce soir, nous ne savons pas où, nous ne savons plus rien d’autre que cela, que nous sommes seuls encore, et davantage, et après.

Je ne fais pas du théâtre pour que mes spectacles montrent des points de vue sur les choses,le point de vue est le spectacle.Le spectacle existe comme un acte. Je n’ai rien à dire à ce propos. Si je pouvais définir cet acte, je ne le ferais pas