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Jrnl | D’un nouveau corps amoureux

[29•04•23]

samedi 29 avril 2023


Et les frissons s’élèvent et grondent, et la saveur forcenée de ces effets se chargeant avec les sifflements mortels et les rauques musiques que le monde, loin derrière nous, lance sur notre mère de beauté, — elle recule, elle se dresse. Oh ! nos os sont revêtus d’un nouveau corps amoureux.

Rimb. Being Beauteous


Sur la route, mon écoute est flottante ; la ville défile à droite et à gauche comme si c’était une autre, j’ai appris à ne plus conduire sans regarder et me repère dans le dédale comme en rêve — la radio est allumée, elle dit, avec cette voix suave qui est la sienne désormais, qu’il va nous falloir apprendre à boire nos os usés, et je suis sorti de mon demi-rêve comme en sursaut par la phrase, par l’image qui naît immédiatement : des coupes pleines d’os réduits en poudre qu’on boirait collectivement à l’orgie nouvelle des temps refondés : quels os précisément, je monte le son, curieux : il y a peut-être des os plus féconds qui étancheraient mieux notre soif et en moi surgissent évidemment, affreusement splendides, des ossuaires destinés à se répandre en larmes pures pour nous abreuver : j’écoute plus attentivement : … « le perméat, c’est-à-dire l’eau éliminée d’une partie de ses micropolluants, passe par un système de photocatalyse solaire, procédé qui avec le soleil et des semi-conducteurs photosensibles permet une réaction chimique qui va attaquer les molécules de micropolluants bio récalcitrantes… », j’ai compris, de tout ceci, seulement le mot eau et ce qu’il recouvrait, s’agissant d’eaux usés plus propres à la consommation que nos corps exhumés ; enfin, j’arrivais.

Je tourne encore autour du mot d’antimonde, son évidence — outre ce mot, sa qualité immédiatement sensible d’ouverture à l’irréalité — et ce qu’il recouvre comme possible toujours à venir : négatif du monde et son double indispensable, l’antimonde désigne cette zone interlope aux principes et aux pratiques qui ne correspondent pas à celles qui légifèrent notre monde : lieux de transit, espaces en marges, territoires désolés et abandonnés pas seulement par la République — sauf que tous ces lieux de l’antimonde sont les seuls féconds, qu’ils s’étendent aux lieux plus terribles de nos rêves, de nos désirs, qu’une salle de théâtre est à elle seule un antimonde, une salle de cinéma vide (ou presque), espace terrible où tout pourrait être possible, puisque tout l’est.

La différence entre un mystère et un secret, c’est le complot : un secret nous lie à lui, et aux autres ; un mystère nous jette dans la solitude.