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Jrnl | D’un sommeil qui n’est pas la mort
[30•12•22]
vendredi 30 décembre 2022
Nous vivons sous la menace d’un sommeil terrible, d’un sommeil qui n’est pas la mort, mais une épaisseur où la pensée écoute une chanson sifflée à travers l’eau.
Eric Vuillard, Tohu (2005)
Dans la matière, savoir ce qui est, ce qui importe, ce qui va disparaître : apprendre à regarder autour de soi à la mesure de ces trois critères toutes choses qui justifieraient cette vie au nom même de leur perte à venir — il n’y a rien d’autre et si dieu est haïssable, c’est parce qu’il est l’envers de tout cela ; le vent est tombé d’ailleurs hier avec le jour au moment où les ombres grandissaient, que tout s’échappait, qu’une bête, chat ou rat, tout près hurlait de douleur ou de joie avant de s’enfuir.
Relire Tohu ce matin en cherchant une leçon : chaque phrase se lirait non pas seulement indépendamment des autres, mais effaçant les autres, les rendant vaines et pourtant — sentiment que toutes les phrases ne sont écrites que pour produire celle que je lis et va être recouverte : leçon ? Ou aveu de l’impossibilité de raconter autre chose que l’écriture ? Mais cette autre chose n’existerait aussi qu’à la condition de la liquidation de l’écriture.
Il faudrait savoir ce qui dans l’existence ressemble à ces longues lignes de contrebasse qu’on n’entend qu’à peine dans les grands airs et qui soutiennent le tout, non pour l’organiser, mais pour que l’ensemble puisse ployer et ne jamais s’effondrer.