Accueil > JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog) > Jrnl | D’une éternité de chaudes larmes
Jrnl | D’une éternité de chaudes larmes
[09•19•23]
mardi 19 septembre 2023
Des fleurs magiques bourdonnaient. Les talus le berçaient. Des bêtes d’une élégance fabuleuse circulaient. Les nuées s’amassaient sur la haute mer faite d’une éternité de chaudes larmes.
Rimb. « Enfance » (II), Illuminations
Soudain, trois Canadairs font un cercle au-dessus de moi avant de plonger vers la mer, face à la ville au large de Vieille Chapelle, on entend seulement le vacarme de la route qui laisse passer entre moi et les vagues le flot de dix-sept heures trente-cinq, tous ceux qui rentrent ; le premier avion frôle les eaux, laisse des gerbes blanches, écumeuses comme la bave, et s’en arrache ; le second le suit, mais reste quelques mètres au-dessus du sol, semble hésiter, plane presque ainsi par-dessus la surface et sans avoir avalé une goutte d’eau remonte, s’échappe : c’était l’image que le monde avait bien voulu m’adresser ce soir — à travers elle, l’invisibilité de l’incendie, son urgence probable que ravivaient le vent, l’indifférence des jeunes filles au café, le silence surtout, et le ratage, complet, vibrant, sans explication ; un chien aboierait là-dessus de longues minutes, les voitures passaient : rien n’aurait lieu, jamais, tandis que dans l’arrière-monde le feu ravagerait la réalité sans qu’on puisse rien faire.
Je regarde les courbes qu’a enregistré ma polygraphie ventilatoire nocturne : les phases de sommeil, celles d’éveil, et entre les deux, ces moments où je ne respire pas — la courbe dessine les tracés de l’autre vie, ces pleins et déliés muets où je ne suis pas, où j’existe à peine et parfois encore moins qu’à peine, où l’effondrement m’engloutit et où je me débats dans des rêves suffocants dont je n’aurai aucun souvenir.
La lumière tombe ce soir sur moi comme si cela valait cette peine et je ne l’évite pas, je peux la voir rejoindre la mer pour s’y confondre dans la couleur mate de l’or blanc, du ciel, de tout ce qui est atrocement évident et qui éblouit : au-dessus de moi, deux arbres ne cessent pas de ne pas se rejoindre.