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Jrnl | Dans ce nuage d’événements

[05•01•24]

mercredi 1er mai 2024


On est dans un univers qui n’est pas celui des différences systématiques, mais celui des événements et des ruptures : [on est] dans une sorte de discontinuité préalable dont on ne peut jamais venir à bout et pour laquelle on ne rencontre ni sol fondamental, ni point de départ, ni cause déterminante. Dans ce nuage d’événements, on peut se déplacer : envisager une série peu nombreuse, ou envisager un ensemble beaucoup plus vaste, c’est-à-dire instaurer une rupture plus ou moins profonde. On n’est donc ni dans un monde de l’interaction ni dans un monde de la différence, mais dans un monde de la rupture. De là la difficulté à penser ce qui se passe actuellement : en quoi consiste cette rupture dont nous ne connaissons pas l’autre bord.

Michel Foucault, Le discours philosophique (1966)


On a si peu d’occasions de se réjouir : des savants de tous horizons réunis en Congrès il y a peu en pleuraient de joie. Ils exposaient le fruit de cinq ans de labeur, un fruit si fécond qu’ils semblaient étourdis, ivres de science. L’incendie de la cathédrale Notre-Dame leur a permis de fouiller sans vergogne dans les entrailles de la bête éventrée, d’en arracher du savoir pour mille ans et des réponses aux énigmes qu’ils ne se posaient même plus : l’effondrement a cela de si bon qu’on regretterait que l’ensemble n’ait pas été plutôt absolument anéanti. Ainsi des joies de la destruction : et d’une cathédrale au monde, d’un monceau de pierres à cette réalité qui nous toise, mon regard passa, lentement, songeur. Qu’il suffise de mettre à bas l’édifice mental, ou celui qui surplombe les puissances sociales, le grand bâtiment de métal de ce monde, et on verrait enfin comment il est fait, les signatures des premiers artisans gravées dans la pierre, les dates exactes, les ruses que l’Histoire a empruntées pour s’effacer derrière son œuvre furieuse.

Je rêvais à cela tandis que s’effondrait aussi le ciel, qu’il pleuvait toutes les larmes de son corps, que la terre la buvait, qu’il n’en resterait rien. Les défilés du premier mai réclamaient la dignité qu’on leur refuse ; on nous concède ce jour pour mieux s’emparer des autres. Un carnaval où on prend du moins des forces. Le ciel tombait sur cela aussi, sur nous, sur les larmes de joie des savants et l’indifférences des puissants.

On a donc appris que ce n’était pas, comme on l’a cru mille ans, avec du bois mort entreposé des années dans des sous-sols secs où il séchait, mais avec du bois vert qu’on a bâti la cathédrale, dans le bois encore vif et plein de promesses de feuilles, de fruits, du bois massacré vivant, du bois qui ne poussera plus que comme de la pierre sous l’encens funèbre des Te Deum, des Requiem qui ne leur sont même pas adressés, des Dies Irae où perçaient déjà les cendres de leur vengeance prochaine.