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Jrnl | Dans la toile de l’araignée

[23·09·16]

samedi 16 septembre 2023


La nausée dit au vomissement : « Viens. »
Mais le vomissement,
Comme la fortune qui se fait attendre…
Mais le moment,
Comme une époque qui va son lent chemin…
Mais de qui parle-t-on ici ?
Oh rage, rage sans objet.
Oh non, on ne rit pas dans la toile de l’araignée.


Henri Michaux, Le livre des réclamations (1933)


On se débat plutôt, on tâche de faire bonne figure et on ne le fait pas ; on n’ose pas renoncer : on ne sait pas où est la lâcheté, si c’est de céder maintenant, ou de lutter malgré tout, en dépit de la honte que cela cause : comme si se débattre là changerait quoi que ce soit à la lumière du ciel, mais on sait bien aussi combien la honte serait plus grande encore de ne rien faire : que l’humiliation serait si vive qu’elle empêcherait de regarder le ciel et de voir par sa lumière la lumière qu’elle donne pour mieux l’effacer : on se débat alors, on fait de grands gestes dans le noir et c’est plein jour, on existe à peine, on trace sur nos grottes intérieures le dessin de grandes bêtes terribles, parfois, on crache ces grottes sur la page, ou dans des corps à corps monstrueux avec les autres, le monde, tout ce qui pourrait se présenter, le plus souvent on tâche de prendre des forces, on regarde, la toile s’étend, on ne bougera plus bientôt, on entend des cris, des frères, des sœurs qui hurlent aussi et qu’on ne voit pas, on n’est pas seul, on ne se voit pas, mais on le sait : on crie ensemble de terreur et pour se donner du courage : la terreur donne du courage, on criera plus fort s’il le faut, les cris qu’on sort de nous donneront peut-être la force à l’un, à l’une d’autre nous de s’arracher à la toile, de la déchirer, d’aller voir où nous ne sommes pas.

La nuit, à force de regarder les étoiles et de ne pas trouver la lune, viennent des pensées idiotes dont on ne sait que faire : par exemple, que la terre cherche à percuter le soleil et le manque, y revient alors, rate le coche, recommence — que tout ceci n’est qu’un malentendu, un désastre sans cesse évité de justesse, et qui sauf catastrophe continuera d’échouer.

De la mer, la terre semble un détail négligé par le temps, une pure apparence — et la ville, ce qui se dresse malhabile, dérisoire ; de la mer, la terre s’éloigne toujours trop lentement et quand on l’approche, l’idée que la mer lui laisse la vie sauve par pitié s’impose sans effort.