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Jrnl | En sentinelle devant le vide

[18•03•23]

samedi 18 mars 2023


Le monde n’a pas de limites, lui dis-je, c’est sphère autour de quoi l’homme tourne et tourne éperdument. Aucune ténèbre ne se tient en sentinelle devant le vide.

Éric Vuillard, Tohu (2005)

Ces aplats posés sur la mer face à la Joliette n’auront duré que le temps de désirer les voir davantage, et c’était fini : on n’était que cela dans cette histoire, et saisir le monde dans la boite crânienne de l’appareil ne fait toujours qu’accroitre l’écart qui s’est installé depuis des millénaires entre nous et tout ce qui dehors passe, s’étale, s’éloigne, et qu’on nomme cela la réalité ne réduit en rien sa tâche occulte de puissance réalisant là-bas son œuvre de démon, incompréhensible et totale, et qui revêt parfois ces formes ocres et splendides, comme un feu qui s’éteint, un orage qui pourrait éclater et ne le fera jamais — et il fallait ensuite aller au théâtre.

Du spectacle, ne rien retenir d’ailleurs que ce moment où l’acteur brûle un papier, le jette en l’air, et le fait disparaître — peut-être qu’un spectacle ne se justifie que malgré lui par ses images étranges qui sont comme une clé qui n’ouvrirait que des portes à venir, et je suis sorti avec cette image ; immédiatement, j’avais tout oublié du reste.

De nouveau : l’espace est capricieux — la barre espace de la machine regimbe, rend le geste de la frappe plus lourd, moins fluide, je dois sans cesse revenir et perds la phrase ; est-ce d’avoir trop frappé comme un sourd sur la touche : est-ce une poussière dans le rouage, est-ce une punition des dieux (je me livre à toutes les hypothèses) — tout cela date un passé (hier) où je pouvais, gloire des temps anciens, me fondre dans la parole muette en prolongement de mon corps, mais tout est perdu — jusqu’à ce que la poussière daigne sortir et me redonne mon corps et ma parole : nous sommes peu de choses.