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Jrnl | Fuir à travers les bois

[26•12•22]

lundi 26 décembre 2022


Les chiens de chasse jouent encore dans la cour, mais le gibier ne leur échappera pas, même s’il est déjà en train de fuir à travers le bois.

Kafka, Aphorismes de Zürau

L’année finit au moment où les jours se prolongent, il faut renoncer à comprendre quoi que ce soit dans cette existence sous la lune, sauf les mécanismes de la domination, les ressorts complexes et sûrs de l’exploitation, la vérité est concrète pourvu qu’elle relève de ce que l’homme fait de l’homme — quant au reste, savoir si la goutte d’eau avance vers le rivage ou si elle ondule toujours à la même place, connaître le mouvement des pierres dévalant la falaise, comprendre le cri de la bête quand elle se sait seule, les larmes, non, il faut seulement regarder et ne pas l’écrire, ou seulement pour soi et les forces qu’on y trouvera.

Lisant presque d’une haleine les chroniques de Claro (l’imparable Abattre son jeu) —, ce regard sur la littérature qu’on commet de nos jours, d’une radicale intransigeance, d’une férocité même parfois contre les lâchetés —, tâcher d’en retenir non pas les leçons, mais cette faculté à se rendre disponible à l’ignorance, ou l’inconnu : traquer les signes, dans Lowry, ou débusquer les impostures ici et là, c’est le contraire de la leçon, bien sûr, et si c’est parfois (souvent ?) cruel, c’est aussi au nom de la tendresse infinie : ce qu’on mise dans ce qu’on nomme l’écriture et qui n’est qu’un prétexte pour mieux arracher à soi, aux autres, au monde, ce qu’on ne sait pas.

Dans la phrase de Kafka, pourquoi suis-je à la fois le gibier et les chiens, la joie et la terreur : la certitude d’être et de prendre — et de savoir que tout finira dans des éclats de sang et l’indifférence de la forêt ?