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Jrnl | L’art du bourreau
[14•12•22]
mercredi 14 décembre 2022
de même
l’art du bourreau
il travaille l’homme
et l’homme est ce reste
que l’art ne réduit pas à sa question
encore
fait le bourreau
Bernard Noël, La Chute des temps (1983)
Dans le métro, nous mettons scrupuleusement en acte les techniques apprises de longue date : par exemple, ne regarder personne (c’est une tâche difficile, et nous la maîtrisons désormais) ; par exemple ne pas écouter — nous entendons tout — ; par exemple ne pas imaginer que nous sommes dans les profondeurs des ténèbres où autrefois les anciens faisaient promener Eurydice (ce n’est qu’un exemple) ; par exemple ne pas imaginer que le monde pourrait être autre chose qu’une chose obscène ; par exemple qu’on pourrait désirer y vivre pleinement.
Puisque je dispose miraculeusement d’un temps mort avant d’attaquer le jour par sa face sud (l’après-midi étale en couleur blanche et grise là-haut), je m’arrête à la librairie : les livres allongés comme des stèles, les noms sur eux et sauf l’absence de date, rien qui les distingue des pierres tombales — mais on peut les saisir, partir avec l’un d’entre eux (j’arracherai à la fosse commune les tombes portatifs d’un récit de Mathias Énard et un recueil de Bernard Noël), abandonnant les autres sur lesquels règnent le bruit étouffé des conversations et les tintements de la caisse automatique.
Depuis la Caravelle, la Basilique semble toujours sur le point de basculer : elle ne semble tenue que par les nuances que fait le ciel qui l’entoure et qui à chaque instant pourrait la lâcher.