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Jrnl | La porte de ma chambre

[04•04•23]

mardi 4 avril 2023


Tant pis, si quelque ombre furtive, excitée par le but louable de venger l’humanité, injustement attaquée par moi, ouvre subrepticement la porte de ma chambre, en frôlant la muraille comme l’aile d’un goëland, et enfonce un poignard, dans les côtes du pilleur d’épaves célestes ! Autant vaut que l’argile dissolve ses atomes, de cette manière que d’une autre.

Lautréamont, Chants de Maldoror


Courir le ventre vide quand le jour peine à se lever en longeant la mer jette à grands traits le jour en moi autant que l’image dessine le signe transparent d’un mouvement vers le jour, je cours et ne m’arrête qu’à la statue de David plantée au bord de la ville et de la mer, et je fais demi-tour : vraiment, à force de rechercher furieusement les métaphores en ce bas monde, je vais finir par en devenir une — à moins que c’est la métaphore de toutes choses elle-même qui viendra se confondre avec ma vie, de sorte que je serai incapable de distinguer les choses de leur signe, et de ce vers quoi elles font signe ; mais j’étais fatigué, et j’avais le ventre vide, la mer respirait plus lentement que moi et je me laissais faire par mes délires.

Ô la lecture de La Grande Beune, pour la cinquième fois peut-être, et je découvre chaque phrase comme si c’était le premier livre que j’ouvrais, et le dernier que je lirai : à chaque page avec sidération, comme un soulèvement.

Donc cette porte posée sur le mur d’enceinte d’une bâtisse invisible, là — et sur laquelle j’ai déposé mon ombre pour posséder la preuve que j’existais par elle : qui voudrait se débarrasser des portes (parce qu’elle a trop servi ?), et qui pour oser la déposer dehors ? — une porte qui ne ferme pas, ne sépare aucun dehors d’aucun dedans, ni chambre d’un couloir, ni rien : ce qui est le plus bouleversant dans ce monde réside dans ce qui ne sert plus et dévisage la réalité comme insignifiante et pauvre pour faire de cette réalité une réserve de forces encore capables de témoigner d’un autre usage de la vérité, plus âpre, plus farfelue, plus impossible — plus nécessaire donc.