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Jrnl | Le premier instant dure toujours

[04•03•23]

samedi 4 mars 2023


Voyez comme la lumière ici est criée.
Le premier instant dure toujours.
La lumière est le cri toujours visible du premier instant qui dure toujours.

Valère Novarina, L’Espace furieux

Si nous sommes toujours à la veille de, et au lendemain de ce qui, comment travailler au jour, et faire de ce jour autre chose qu’une pure conséquence, qu’une simple répétition — et maintenir pourtant fermement l’idée (pas seulement l’idée) des causalités choisies en dépit du bon sens, arracher à l’Histoire ses généalogies secrètes, ces filiations monstrueuses d’où être malgré tout issue et jeter au-devant les possibilités des forces qui sauront engendrer autre chose que de la fatalité résignée : c’était dans le froid de mars, ce qui restait des idées en lambeaux de la semaine ramassées comme on éponge le lait, comme on se ramasse soi-même au sortir d’un hiver qui n’aura causé aucun printemps.

Ainsi le premier instant durerait toujours, l’acteur le dirait avec tant d’inquiétude et de fragilité sous l’allure de la force que la phrase éclairerait indiscutablement le jour, et soudain, noir de plateau — le théâtre sait faire cela : la nuit brutale qui recouvre tout, devient l’espace où résonnent les voix, chambre d’échos (sauf qu’on verrait, à cour et jardin, flotter salement les lueurs verdâtres des issues de secours).

Derrière l’université, cet immeuble qui ne tenait depuis des mois que par d’immenses bras posés sur la façade : on l’aura vidé de l’intérieur, entrailles arrachées, il ne lui resterait plus que la peau, une membrane sans squelettes et sans viscères, parois du monde dressés pour donner le change ou faire comme si — mais le ciel passerait en lui, on verrait la lumière le traverser pour donner l’impression qu’il ne tenait debout que par la lumière, debout et presque digne, presque humble, presque.