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Jrnl | Le saut sur moi à l’aube

Vendredi 7 juin 2024

vendredi 7 juin 2024


J’ai fait le saut sur moi à l’aube.
J’ai laissé mon corps avec la lumière
et j’ai chanté la tristesse de ce qui est né.

Alejandra Pizarnik, Arbre de Diane (1962)

Le balancier des jours — le train vers Paris, qui part et revient, les traces là-haut dans le ciel qui s’éloigne, qui s’éloignent, et la mer toujours recommencée et sans cesse renouvelée, les rêves qui s’effacent par fatigue, m’abandonnent plutôt, la fatigue qui est l’autre nom de cette vie et qui seule me tient débout, tout ce qui reste au fond de l’eau, la vase et la terre toute entière, et parmi tout cela, tant d’oublis —, me fait courir après le temps et il me devance toujours, parfois se retourne et me fait signe de le suivre mais il tourne le coin de la rue et disparaît, je crie, et le cri fait tomber la nuit, je ne sais pas où je suis.

Le cri de terreur Pilate, quand le Christ lui dit en tendant les bras, je suis la vérité, et que le sous-préfet répond (de terreur et de lamentation) : mais quelle est la vérité ?

Le ciel de juin, le soir : ce qui le fait tenir. Je ne sais pas. Il traîne là-haut, hésite ; il balance lui aussi entre rester là et s’effacer, et c’est ce qu’il va faire, à chaque minute passées huit heures, il paraît se retirer, mais non, pas tout à fait, autour de nous, la fin de toutes choses n’aura pas lieu, regarde, on aperçoit tout autour la lumière s’accrocher au sol et au visage, la nuit n’aura pas lieu, c’est fini — et lorsqu’il fait nuit on s’est tant habitué longuement à ce jour atténué qu’on ne la voit plus : le fascisme rampant se loge aussi dans les douceurs inertes des soirs de juin.