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Jrnl | Les Minuits
[25•10•05]
dimanche 5 octobre 2025

Pour qui les Matins sont synonymes de Nuits,
Que doivent-être — les Minuits !
Emily Dickinson, Poèmes brefs (63) [1864-1865]
Chercher au fond de soi le milieu de nulle part comme si on roulait un jeudi soir sous la pluie fine dans un sous-bois, dans le bruit battu d’essuie-glaces agonisants, les phares qui ne percent qu’à peine le rideau glacé d’eau, — que la route est étroite et qu’on prie qu’un autre ne vienne en face, que la mince brume monte du ruisseau tout près, qu’il n’y a bientôt plus d’essence, qu’il n’y aura bientôt plus d’essence, que la nuit tombe comme un cadavre, que la radio ne capte qu’un grésillement lointain, que les lignes blanches s’effacent dans le noir, et qu’enfin , soudain, une bête traverse et qu’il est trop tard pour freiner, qu’on va percuter sans avoir même le temps de crier.
Dans un monde fondé sur le mythe, comprendre c’est déjà trahir — il suffit du geste d’écarter, lentement, comme des persiennes ajourées, tout ce sur quoi le monde repose, et d’aller plus avant.
Le soleil fait le mort, et il le fait si bien, qu’on le sait complice de tout ce qu’il éclaire.
