arnaud maïsetti | carnets

Accueil > JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog) > Jrnl | Mystérieusement parmi les arbres nus

Jrnl | Mystérieusement parmi les arbres nus

[12•01•23]

jeudi 12 janvier 2023


Il se sera perdu le navire archaïque
Aux mers où baigneront mes rêves éperdus ;
Et ses immenses mâts se seront confondus
Dans les brouillards d’un ciel de bible et de cantiques.

Antonin Artaud, Le Navire Mystique (1922)

Craché par la mer la forêt, mais tout ce qu’il en reste est cet arbre peut-être survivant — de quelle mort ? — et dans la solitude de la plage laissé là comme ces poissons sur le dos secoués par ce qu’il leur reste d’espoir avant de renoncer — nous autres, devant l’arbre, ne sommes que ce désespoir-là peut-être, ou la rage des vagues après l’avoir abandonné ici et l’avoir digéré et jugé indigne de faire parti de ce grand tout où sombrera d’autres forêts et d’autres espoirs.

Un air jouera, mais non d’antique bucolique,
Mystérieusement parmi les arbres nus ;
Et le navire saint n’aura jamais vendu
La très rare denrée aux pays exotiques.

C’est une étrange manière de faire durer le temps, dormir : on ne le fait même pas pour les rêves, même pas pour la fatigue, mais parce que la nuit est vide, passée déjà, lointaine — on la regarde, on ne sait pas si c’est la nuit qui s’éloigne ou nous, il est trois heures, cette heure qui n’existe pas pour la vie, on ne trouvera pas le sommeil, on pense à un vieux poème d’Artaud croisé par hasard dans le jour, on pense à l’arbre mort, aux joies brèves qui transpercent comme une épée, ou comme le froid.

Il ne sait pas les feux des havres de la terre.
Il ne connaît que Dieu, et sans fin, solitaire
Il sépare les flots glorieux de l’infini.

Quand la fatigue vient à bout du corps, il y a cette seconde où on résiste encore, où on va lâcher, mais on ne le fait pas encore : écrire est tout entier dans cette seconde qui sait que rien ne va durer, que tout va cesser, que cela ne sert à rien d’autre que de nommer la colère et la peine, écrire est dans cette seconde, et aussi vivre si c’était encore possible.

Le bout de son beaupré plonge dans le mystère.
Aux pointes de ses mâts tremble toutes les nuits
L’argent mystique et pur de l’étoile polaire.