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Jrnl | Ne pas se tourner comme un chien

[25•08•13]

mercredi 13 août 2025


Se supporter, tranquillement, sans précipitation, vivre comme on le doit, ne pas se tourner comme un chien.

Kafka, journal, le 9 décembre 1913

Discipliner le temps, l’heure des jours, discipliner le corps et la pensée, avoir prise — comme on serre entre les poings une pierre qu’on va jeter et qu’on repose finalement sur le sol –, voilà tout. Trajectoire des étoiles, des avions qui les croisent en plein jour, dessins que tracent, en passant, les bêtes là-haut — qui errent, cherchent un passage, ou la fuite d’un rongeur là-dessous. Lignes brisées des lignes qui vont s’effaçant sur elles-mêmes, parcours intérieurs le soir quand on s’effondre et qu’il ne reste rien. De la chaleur accablante, je retiens l’accablement – non la chaleur – et tâche de m’y arrimer pour descendre plus bas que terre où considérer la terre d’en dessous comme du ciel, et cracher sur elle.

Tous les paysages ont été modelés par le feu — la phrase du savant, à la radio, pour expliquer, et qui console, ou dévaste davantage. Imaginer la main du feu sculpteur qui choisit ici et là une cambrure, le mouvement d’un bassin, le port d’une tête penchée vers le sol, les yeux clos d’une déesse sculptée ainsi dans le contraire du hasard. Et le feu qui se retire alors pour contempler l’œuvre affreuse, puis de rage s’éloigne et s’en va rater mieux un autre portrait ailleurs sur d’autres broussailles qui l’attendent.

D’en haut, on voit le mouvement de la terre bien sûr – sa respiration – et plus sûrement encore ce qu’on ne perçoit jamais quand on est à sa hauteur, qu’on est mêlé aux choses, aux bavardages insignifiants du monde. D’en haut, on voit les mouvements de troupes, mais on ignore les cris des foules qui fuient la fusillade. D’en haut, le cadastre mis à nu par le bombardement de l’Histoire – on ne voit pas, on mesure, on goûte le spectacle, estime les dimensions. Non, d’en haut, on voudrait sauter dans la mer pour mieux entendre ce qu’elle dit lentement aux rochers, on voudrait se jeter dans le vide et on ne le fait jamais par peur que le vide nous accepte.