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Jrnl | On a des visions intérieures

[25•09•15]

lundi 15 septembre 2025


On est entré dans une zone de chocs. Phénomène des foules, mais infimes, infiniment houleuses.
Les yeux fermés, on a des visions intérieures.
Des milliers et des milliers de points microscopiques fulgurants, d’éblouissants diamants, des éclairs pour microbes.
Des palais aux tourelles innombrables, qui filent en l’air sous une pression inconnue. Des arabesques, des festons. De la foire. De l’extrémisme dans la lumière qui, éclatante, vous vrille les nerfs, de l’extrémisme dans des couleurs qui vous mordent, vous assaillent, et brutales, blessantes, leurs associations.
Du tremblement dans les images. Du va-et-vient.

Henri Michaux, L’Infini turbulent (1957)


Chambre dont on a perdu la clé le jour même où l’on appris qu’elle existait ; miroir qui se ternit sous le premier regard qu’il reçoit ; fruit qui pourrit dès l’instant où la main se tend pour le cueillir — corneille dont les ailes se brisent à l’instant même de son plus beau chant : autant d’images qui se fixent quand je cherche à désigner la pensée (l’émotion) de ce jour — et à cerner l’obsession, je ne fais que des cercles qui s’éloignent du centre, s’élargissent en ondes concentriques qui finissent par dessiner à rebours le jet d’une pierre dans un lac immobile, chaque cercle plus faible que le précédent jusqu’à ce que la surface retrouve son calme et que plus rien ne témoigne de rien.

Écrire pour faire le point : non, l’agrandir, ou chercher ce qui le déplace. Écrire pour tirer le point vers où il pourrait devenir autre chose — objets compacts, trous noirs, régions de l’espace-temps où la courbure devient si intense qu’elle piège la lumière. L’horizon des événements : cette frontière invisible au-delà de laquelle rien ne peut plus s’échapper, rayon de Schwarzschild où le temps se dilate infiniment. Voilà ce que cherche écrire : non fixer le sens mais tracer ces lieux de passage, portails par où le temps et l’espace deviennent autres, où la pensée subit la courbure fatale qui l’attire vers ce qu’elle ne peut plus nommer.

L’en-deçà du réalisme : territoire où le réel est tenu à distance autant qu’en joue. On pourrait faire feu, on attend. Il se met à genoux dans la poussière, supplie avec des mots qu’on ne comprend pas, pleure presque, et on lui tourne le dos en riant (sentir qu’il se jette sur nous, le couteau qui cherche les reins).