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Jrnl | ou au milieu des tombes
[25•09•11]
jeudi 11 septembre 2025

Aux urbanistes futurs, nous demandons de ménager un cimetière dans la ville où l’on continuera d’enfouir les morts, ou de prévoir un columbarium inquiétant aux formes simples mais impérieuses, alors, auprès de lui, en somme dans son ombre, ou au milieu des tombes, on érigera le théâtre. On voit où je veux en venir ? Le théâtre sera placé le plus près possible, dans l’ombre vraiment tutélaire du lieu où l’on gardera les morts ou du seul monument qui les digère.
Jean Genet, L’étrange mot d’… (1967)
Si le vent est la respiration des arbres, et la mer la salive du ciel, les pierres le morcellement muet des choses, le feu la mémoire perdue des origines, la nuit le pli secret où le jour se terre, la pluie l’écriture fragile de ce qui n’existe pas encore, le corps le tremblement passager de ce qui se cherche, alors qu’il n’en reste rien, ou tâche à nous autres de faire du vent ce qu’on ne verra jamais, et de la mer, ce qui s’éloigne, des pierres un ressassement et du feu la brûlure, de la nuit des matins et de la pluie la soif, du corps une évidence, du reste, ce qui reste.
Devant le cimetière donc, l’inscription : conservateur. Songe d’un cimetière progressiste — et les mesures promises pour cela. Un cimetière révolutionnaire : on rêve de tombes en cercles, d’amitiés jurées sur la pierre, de morts qui ne le sont pas en vain, de cendres qui seraient chaudes. Mais non. Le cimetière conservateur demande des autorisations pour venir entendre les arbres trembler au milieu des travaux de la ville trop proche.
Renoncer à tout espoir est la condition qui permet que tout s’ouvre enfin — de même, abandonner la tendresse, la sagesse au premier venu, et alors : et alors cela se passe de mots. Ce à quoi il est encore impossible de se passer : la mélancolie devant le soleil couchant et l’idée de faute — ce qu’on traverse et nous traverse en retour, une lame sans tranchant qui entaille.

