arnaud maïsetti | carnets

Accueil > JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog) > Jrnl | Plus que le monde

Jrnl | Plus que le monde

[25•09•18]

jeudi 18 septembre 2025


Ne suis-je la beauté

Que parce que je flatte votre rêve ?

Je suis tapie, effrayée, je suis prête

A me jeter en avant, à griffer,

Ou à faire la morte si je sens

Que ma cause est perdue dans vos regards.

Demandez-moi d’être plus que le monde.

Yves Bonnefoy, L’Heure présente (2001)

Que la violence n’est pas extérieure à la civilisation, mais son origine cachée : n’importe quel livre de n’importe quelle partie du monde, à n’importe quel moment de son trajet dans le temps le hurle dans les phrases les plus définitives ; il faut croire qu’on est sourd, ou que face au cri, on prenne peur, qu’on se soit trop longtemps réfugié sous les porches des églises et des préfectures, criant plus fort pour réclamer de l’aide, et voilà qu’elle arrive, armée de pied en cap, levant le bâton, visière baissée. Mais bien sûr qu’on le voit, la vérité nue comme un visage : l’origine mal cachée de la civilisation est aussi celle qui lui permet d’organiser l’humiliation le plus sereinement du monde. Et puis, non : à intervalles réguliers, la violence est désignée comme telle : l’origine de l’ordre et sa force d’organisation permanente du réel. Soit Marseille un jeudi matin ensoleillé ; rien à demander, rien à négocier, seulement aller, d’un bord du vieux port à l’autre, marcher sa peine et la honte d’observer les représentants représenter, et recevoir la police casquée pour solde de tout compte.

Notes éparses sur l’image et les régimes de vérité qu’elle compose, distribue, ou défait. — L’image est une trame composée d’un tissage d’images elles-mêmes minuscules, pixels assemblés qui sont invisibles chacune, et qui toutes ensemble la forment : chaque image est la monade de toute image, cette invisibilité des parties qui lève la visibilité d’un tout. Prendre une image, ce n’est pas la représenter, c’est choisir quelle couleur on dépose en premier, quelle autre, ensuite. Non, l’image ne décrit pas le monde, elle le constitue. Ce que veulent les images : seules elles le savent. L’image est muette parce qu’elle refuse de prendre la parole, pour mieux la donner à qui se jettera sur elle. À force de redoubler la présence du monde, l’image est devenue première : c’est le monde qui est devenu une image parmi d’autres de toute image. Définition d’un être humain : un vivant qui regarde des images. Œuvre d’art : une caméra filme en gros plan le visage d’un Bouddha. L’image captée est diffusée en direct sur un écran de télévision placé face à lui. On voit ainsi le Bouddha regarder la télévision, qui montre son propre visage en train de regarder. L’image est moins suspecte que la réalité.

On perçoit le monde différemment avec un marteau à la main : tout devient clou. Tout devient planche de bois. Tout devient appréhension de la douleur à venir sur le pouce martelé.