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Jrnl | Pourquoi pas des jardins suspendus
[23·09·15]
vendredi 15 septembre 2023
Alors, il nous faut des terrasses, des terrasses où nous promener, nous baigner en pleine lumière, en plein rêve. Des terrasses et même, pourquoi pas, des jardins suspendus autour de la maison, et ce ferait une propriété que nous appellerions Babylone. Babylone. Qu’en dites-vous, cher Alfred ?
— Beau nom, certes. Mais n’est-il point quelque peu sonore, Amie ?
— Sans doute, mais digne de nos pergolas, nos escaliers, nos points de vue, notre joie présente, nos extases à venir. J’ai retrouvé une fille, un gendre et les voilà voguant vers la mort peut-être. Suis-je donc une femme sans cœur que jamais de ma vie, je ne me suis sentie à tel point lyrique, inspirée ? N’était cette mode ridicule, mon deuil et ma robe étroite, Alfred, pour vous, je danserais dans le couchant. Babylone, Babylone, nous allons vivre à Babylone…René Crevel, Babylone
Pourquoi pas du vent au-dedans des choses, des arbres dans la pierre qui nommeraient la ville et des regrets changés en rêves, des désastres qui ravageraient enfin le monde, pourquoi pas ? et les silences étalés devant soi comme si c’était des corps endormis, des temples voués au dieu de l’orage ou le retour des spectres, pourquoi pas la commune appartenance aux temps révolus, et pourquoi pas Babylone, les danses dans le couchant, le recommencement de l’histoire, le sentiment lyrique des puissances, toute cette sauvagerie calme qui saurait en finir avec cette époque, pourquoi pas, se disait-on en jetant un regard abstrait dans l’embouteillage sur la corniche le long de laquelle Marseille ruait dans les brancards, immobile.
Devant le retrait de la marée, j’ai toujours eu un faible : à l’estran, quand la mer est loin et qu’elle n’a laissé que de la vase fumante et informe, ni terre ni eau, presque hideuse tant elle donne le sentiment de la défaite, la décomposition lente est définitive de la matière, et les bateaux vautrés sur le ventre dans la mélasse, je rêve — c’est cette image qui me peuple inexorablement une fois achevé un texte qui m’avait hanté pendant des années et dont il ne reste rien (rien, c’est-à-dire : un livre) et maintenant que tout s’est retiré, que la mer l’emporte avec le vent, je suis seul, et je regarde la terre laissée seule aussi, l’envers du large qui attend que la mer revienne, et le fera-t-elle ?
La soi-disante « rentrée » : cette autre forme abjecte que s’est donné le monde pour prétendre commencer, recommencer, cette ruse sournoise qui n’est que le bégaiement affreux du silence ; quant à nous autres, on cherchera encore la sortie — l’escalier de service de l’Histoire par lequel on trouvera enfin la porte de l’édifice qu’il faudra bien une fois pour toute et sans autre forme de procès condamner.