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Jrnl | Que les conditions du temps et de l’espace
[04•12•24]
mercredi 4 décembre 2024
Aux confins extrêmes de la douleur rien d’autre ne subsiste que les conditions du temps et de l’espace. Hölderlin
La ponctuation ne sert qu’à repousser les choses à plus tard : comme respirer, inspirer ; comme, dans les rêves, prendre rendez-vous ; ou dans l’Histoire, l’avenir. Cette vie ressemble ces jours à des trains qui partent en tous sens et qui n’arrivent que pour repartir ; lundi, l’aller retour vers Paris ; dans cette grande salle de la Cité Universitaire, tâcher de dompter la présence et ne pas y parvenir, se contenter de nommer et assister à ce qui tombe, dans le mot, du mot lui-même. Appeler ça aller. L’après-midi, cet atelier autour, avec, au dedans de la présence perdue de Claude Régy. D’abord considérer l’espace devant soi, mesurer combien il n’est pas vide, mais traversée d’une histoire. Nos corps, là, tout à l’heure ; les paroles prononcées et les désirs ; l’histoire nue dans le nom de Gaza, et l’odeur des cendres froides. S’attarder longuement sur ce que le vide permet, organise, n’épuise jamais, relance et réarme, désarme. Apprendre à se défaire, longtemps. Puis repartir.
Dans le train qui me ramenait, la nausée tenait sans doute à ce retard qui me sert désormais à mesurer ce qui me sépare de moi — Babylone bat comme une porte là-bas, et la porte se ferme tandis que je m’apprête à saisir la poignée : la ville continue sa rumeur, je suis de l’autre côté, je ne serai toujours que de l’autre côté : c’est un autre rêve, d’un autre jour, que j’ai déjà oublié et que je dépose aussi pour être sûr de ne plus jamais m’en souvenir.
Sur l’horloge de la Gare de Lyon, le temps ne passe pas : la Tour découpe la même silhouette à même la nuit depuis que je la connais, toujours : je jette toujours vers elle le même regard comme si je me jetais moi-même dans ce vide qui me sépare de moi-même la regardant autrefois ; l’ombre qu’elle fait sur nous, la ville et la nuit semble plus grande que la ville, la nuit et nous tous réunis sous elle. On n’aura jamais assez d’insultes et elles ne seront jamais assez hautes contre cette tour qui organise autour d’elle le monde infernal, et pourtant, quand je me trouve sous elle, je fais toujours ce geste de vérifier l’heure que je porte pourtant au poignet : ruse atroce de la réalité d’imposer son ordre fantoche et de nous rappeler combien nous sommes en retard, et lui, en avance.