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Jrnl | Réellement vide
[27•11•24]
mercredi 27 novembre 2024
Semblable à un homme qui, assis devant une assiette vide, s’obstine à y plonger sa cuiller, pour montrer à ceux qui l’ont remplie pour lui qu’elle est réellement vide.
Günther Anders, Kafka. Pour et contre (1951)
Ce n’est pas tant parce qu’on nous a appris à écrire qu’on écrit : comme ce n’est pas le paysage qui est la preuve de la carte. De même, au peintre à qui on demande des explications — pourquoi avoir été peintre, quand il eut mieux valu être cordonnier dans ce pays de va nu-pieds, plus utile d’être médecin, ou flic, ou chien de flic, gouverneur, élu, électeur, client, dealer, tout plutôt que peintre, il répond : c’est parce que tout était plus utile que peintre que je me suis fait peintre afin de donner du monde l’image qu’il n’a pas, et qu’on puisse enfin le voir, autour de soi, comme il devrait être.
Ou alors : donner au monde l’image qui est la sienne et ne devrait pas avoir : la donner entièrement, cruellement. La donner comme une mise en garde, ou pour venir en aide.
La demande de Kafka de brûler ses textes : non parce qu’il les estimait de faible valeur littéraire, mais parce qu’ils ne possédaient à ses yeux qu’une valeur littéraire.
Toute la matinée à l’affut de la justesse. Et toute l’après-midi à guetter ce qui s’y dérobe — sur la table de travail, aller d’un côté à l’autre à s’en brûler les yeux comme si c’était des liasses dont il s’agissait de se débarrasser maintenant qu’elles ne serviront plus (j’asperge toutes les eaux guérissantes du monde en vain depuis une semaine) : dans Barthes, le journal de Chéreau, et la Solitude — désespérément à l’assaut de l’anti-chambre de la pyramide où repose le tas de secrets comme si c’était des cendres froides : j’en suis là, et c’est ma vie. À la fin de ce mercredi, je me serai provisoirement mis d’accord avec moi-même sur cette définition de l’écriture : abolition du manifeste et du latent, par quoi l’éblouissement est renversé en son contraire, l’illumination.