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Jrnl | Sans aveux et sans larmes
[23•12•08]
vendredi 8 décembre 2023
Ainsi effeuillai-je en vain, une rose
La rose privée de la terreur
Et de la sexualité, au temps, justement,
Où l’on me demandait d’être le partisan
Sans aveux et sans larmes.
Pier Paolo Pasolini, Poésie en forme de rose (3 septembre 1963)
« Le temps qui reste se réduit à toute vitesse » vient de lâcher, comme des balles qu’on tire sur le premier chien qui passe (c’était moi), la radio : on évoquait sans doute, avec le ton posé que possèdent ceux qui ne sont là que pour transmettre, la fonte des glaces — on ne dit jamais le bruit que fait la glace quand elle fond, comme on ne dit jamais que ce qui nous saisira quand la vague viendra nous frapper, ce sera d’abord le grand froid de l’eau qui sera peut-être un soulagement au milieu de la fournaise qui nous cernera —, et ce qui s’ensuit : pas grand-chose, de fait, tant il est décevant de décrire la catastrophe quand elle a déjà eu lieu et qu’elle n’a pris aucune des formes qu’on pouvait espérer, grand fracas de feux, bruits terribles ou déflagration d’Apocalypse, non : de l’eau qui monte peu à peu et voilà tout, et la chaleur qui prend imperceptiblement un degré après l’autre — décidément, il est pénible de décrire le désastre, alors on tourne les yeux vers l’un des derniers soleils d’hiver et on se crève les yeux de beauté à chercher de savoir comme il s’y prend pour être si purement l’image de l’image même, celle qui se dérobe.
Mes erreurs appartiennent au passé, certes, mais l’avenir attend lui aussi que je le double et le déborde et le laisse derrière moi, pour qu’il se repaisse de mes erreurs — quant à moi, je n’appartiens qu’à mon ombre, et elle s’allonge dans le soir quand je veux l’approcher.
Je lis quelque part au hasard : « Le plus bel hiver du monde ne peut donner que le froid qu’il a » : le froid qu’il n’a pas, il nous le laisse sans doute, au fond de nous, formant le dernier continent glacé du monde, tandis qu’on cherchera désespérément la lame coupante, glacée, capable de le déchirer.