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Jrnl | Seul, égaré, muet, et à pied

[26•09•24]

jeudi 26 septembre 2024


Ce n’est que seul, égaré, muet, et à pied, que je parviens à reconnaître les choses.

P. P. Pasolini, L’odeur de l’Inde

Sensation tenace que tout échappe. La vie, ces derniers jours, consiste surtout à savoir ruser contre elle pour mieux dompter ses contraintes. Le temps aussi prend de court, il faut sans cesse le devancer, le prévoir. Je regarde la paume de ma main, les lignes s’enfuient elles aussi, se creusent pourtant, insistent à faire signe ; je les suis du bout des doigts, les lignes entraînent vers le passé davantage que vers l’avenir. Enfant, on ne possède pas d’avenir : seulement un pur présent qui ignore même les jours de la semaine. Maintenant ? Tout échappe, oui : le train qui m’emmène vers la montagne me ramène le lendemain à la mer, les kilomètres se mesurent en mails envoyés, reçus ; il faut donner le change à la réalité.

Et puis, tout autour, il y a ce qui s’effondre. Je regarde mes images de Beyrouth, de Tyr où j’ai tant aimé regarder les pierres, le ciel, où j’ai posé mon ombre sur quoi bientôt rouleront les colonnes blindées ; il y a les cris dans les rues aimées des quartiers d’Achrafieh, de Mazra’a, ou d’Hamza. Le théâtre de Shams, ou ces cafés le soir, les toits terrasses tournés vers Damascus Street (qui ne porte pas ce nom, aucune de ces rues ne portent de noms, sauf dans les cartes des touristes faites pour les perdre). Ce dont nos jours sont faits : le matin, apprendre la suite de la catastrophe ; le soir, en prendre la mesure considérable : et le lendemain, comprendre que le pire attendait.

Les nuages naissent où meurt le paysage : la disparition du monde devient davantage qu’une simple hypothèse dont on voit l’horizon comme on voit la mer, le soir, au moment où la jour tombe sur elle.