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Jrnl | Sous leur dictée
[25•09•29]
lundi 29 septembre 2025

Je vis parmi des oiseaux coupés de leur bec. Les oiseaux sont entourés de chiens et les chiens de forçats. Quelque fois, au matin, on voit les barreaux. Mais toujours, à tout heure, des mains tendues ou crispées. Le chien s’écorche aux rires de la mort et l’oiseau à l’heureux temps des guillotine. J’écris, dans le sang, sous leur dictée.
Edmond Jabès, « Le sel noir » (‘Au coeur de la vue’), Le Seuil (1943-1951)
La lumière peine à franchir la fenêtre, septembre retient déjà ses forces. Dans la chambre, l’oud d’Anouar Brahem baigne lentement ce qui m’entoure, la poussière et ses ombres, la patience et la solitude, le travail qui défile sur l’écran – lire, toute la journée, prendre des forces, chercher les passages secrets, arracher les mots où ils se cachent. Le travail sans écrire : organiser la pensée comme le pessimisme porte même exigence, même tension dans les corps caverneux du silence, même colère froide, qui prend forme dans le désœuvrement. Les heures s’accumulent comme des couches de silence couvertes et recouvertes de vacarmes intérieurs.
Sous la dictée des oiseaux mutilés, des chiens enchaînés : de quoi d’autres aujourd’hui ? Écrire dans le sang de qui, de quoi ? Celui du jour s’écoule sans trace, ces heures perdues à l’organisation du temps. Barreaux qu’on voit au matin — peut-être ceux de la fenêtre qui filtre la lumière avare des avant-gardes de l’automne, ou ceux plus intérieurs qui séparent le travail de l’écriture, la préparation de l’acte. Le nom de Gaza dans cette lumière là.
Le oud continue. Brahem ne dicte rien, il accompagne cette vie comme on accompagne les morts en emportant leur souvenir qui peindra la surface du monde.

