arnaud maïsetti | carnets

Accueil > JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog) > Jrnl | Toute cette lumière

Jrnl | Toute cette lumière

[25•09•23]

mardi 23 septembre 2025


« L’hiver où, ma sœur partie, il me sembla qu’un grand nombre de feux avaient été allumés où l’on brûlait sans fin et les morts et les vêtements des morts.
« Et, si ç’avait été de la folie, je l’aurais reconnue dans les yeux des morts ; mais ce n’était pas de la folie, c’était bien les morts que l’on brûlait — et qui éclairaient la nuit — et qui me jetaient sur le visage toute cette lumière. »

Éric Vuillard, « Printemps », Tohu (2005)

« On sait à peu près ce qu’il faudrait détruire de ce monde pour le rendre vivable » — sans bien savoir comment. Peut-être une ruade, ou seulement fermer les yeux, cela suffirait : ça ne suffit pas. Par exemple les routes. On sait bien qu’il faudrait placer les trottoirs au milieu. Ou la ville : qu’il faudrait d’autres formes dans le cœur. Le bruit que fait la pluie sur le sol est le même qu’on entendait au paléolithique inférieur, mais elle est recouverte par tant de siècles. Pour rendre vivable cette vie, c’est peut-être cela qu’il faudrait : apprendre à compter autrement qu’en ajouts, mesurer le temps en battements, et découvrir que la lenteur n’est pas l’opposé de la vitesse mais son secret.

Le ciel bleu après l’orage : plus cruel encore, plus indifférent à la mort, ou plus semblable à elle que la mort elle-même.

Duras faisait son lit avant d’écrire, et j’essaie de me souvenir ce que nous disait alors FM quand il évoquait cela (plusieurs fois, au cours du semestre, cette image lui revenait, motif récurrent dans ses cours qu’il menait comme un solo de jazz, improvisation libre, et cette image comme d’autres lui servaient d’accords de passage, points d’appui pour ses variations — chaque séance, un chorus différent sur les mêmes grilles harmoniques), je ne sais plus, peut-être : « comme si on n’allait plus retrouver son corps », mais ce n’était pas cela.