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Jrnl | un enchevêtrement de récits inintelligibles

[25•09•07]

dimanche 7 septembre 2025


le vent se calme… Il n’y a que toi, un amoncellement de pierres musicales, un enchevêtrement de récits inintelligibles

qui simplifie le chemin, touche la couleur, éclaircit la voix, dans la chambre où l’heure est nue

comme un rire dans la nuit, un hennissement proche de l’aube — dont la spirale se morcelle, et se divinise, à mesure que sa pénétration s’accomplit

contre le vent solaire, parmi les éclats de la parole qui se risque…

Jacques Dupin, « Chanfrein », Échancré (1991)


Est-ce qu’on touche le vent avant qu’il nous touche ? Le regard du garçon de huit ans sous les rafales — il pose la question comme si, à la dire tout haut, elle allait finir par trouver une réponse : et il la cherche, là, dans le vent : « Qui touche l’autre le premier ? » Il fait le geste pour l’attraper, ferme le poing et l’ouvre soudain pour laisser échapper — quoi ? Il se tait. Dans le journal, aux pages Livres, le critique littéraire est embarrassé. « Le lecteur peine à trouver une phrase qui s’adresse à lui ». La peine est à la mesure du désarroi. L’auteur cherchait peut-être à s’adresser à quelqu’un d’autre ? Ou plus pauvrement à écrire des phrases afin qu’on puisse s’adresser à elles — le critique, lui, a refermé le livre, déçu : il en a ouvert un autre sans doute pour assouvir sa quête — de tels livres ne manquent pas, qui règlent leur compte ou font de ces pages des divans où se vautrent les histoires de famille étranglées de silence. Le vent continue de se lever : il n’a ni père ni mère, ni enfant.

Vivre en mode dégradé : c’était la loi alors, on s’en souvient, non écrite mais gravée dans la mémoire des jours gris. L’expression me revient devant l’état du monde. On passait en « mode dégradé » – c’était transitoire, il fallait bien affronter les crises et faire face. Le mode dégradé est devenu par défaut — une vulnérabilité systémique (comme est pauvre le langage pour désigner les pauvretés d’expériences que ce monde nous laisse en pâture : pauvreté qui neutralise dans la terminologie technicienne toute forme d’affect qui pourrait susciter la révolte d’abord contre le mot, puis vers la chose). J’apprends que pour protéger le Grand Tétras dans les forêts des Vosges et du Jura, on trace des zones de quiétude volontaire. Préserver le monde, c’est d’abord organiser le vide autour de lui — s’en éloigner. Le pas des promeneurs tue le Grand Tétras : entre nous et la nature, il ne peut y avoir que la police — celle qui tue la nature, et nous, rien qu’en marchant sur le sol couverts d’épine de pins et de myrtilles des forêts de Champfromier.

« On produit des modèles d’IA avant de les comprendre. » La radio lâche cela comme si ce n’était rien d’autre qu’une phrase de plus, je roule sur l’autoroute vers la Sainte-Victoire frappée par la brume, c’est la rentrée, dit-on, comme si cela voulait dire quelque chose.