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Jrnl | Un fil tendu dont la longueur était infinie
[20•03•23]
lundi 20 mars 2023
Je me sentais glisser comme sur un fil tendu dont la longueur était infinie
Gérard de Nerval, Aurélia
Dehors le miracle — l’arbre ne faisait que le mort et il se donne désormais naissance ces jours : chaque année, le printemps fait toujours autant violence à l’organisation du monde, même si on ne sait pas qui est indifférent à quoi, les ruines au vent, ou le vent à la chute des pierre, les feuilles à l’absence d’avenir politique, et les motions de censure au bruit des vagues : sauf que le frottement des choses ensemble finissent par fabriquer ce murmure qui cerne comme autour de la dernière ville ceux qui continuent de s’aimer sous le déluge des flèches : chaque seconde la feuille pousse sur elle-même dans les cris des manifestants et le gaz lacrymogène.
Dedans, les rêves terribles : il faut marcher dans un désert, on est nu ; le sable forme de grands murs à gauche, à droite, et bientôt le plafond : on avance ; on s’enfonce ; le sable monte jusqu’à la poitrine, le menton, bientôt la bouche : tous ont été engloutis, j’avance encore, et puis : je ferme les yeux ; je plonge : quand je les ouvre, je suis au fond de cette mer de sable, des corps flottent autour de moi, inertes, et je cède ; je cherche à qui adresser une dernière pensée et pendant que je cherche, un bras m’arrache à la nasse — mais alors qu’il m’attire à l’air libre, j’hurle, je veux replonger de toutes mes forces pour trouver cette pensée.
Comme la corde soutient le pendu, dit le pendu, ce qui soutient le monde mort en rangs serrés dans les Assemblées dites de la représentation nationale — dans le vacarme de leur discours, est-ce qu’ils voient ce qui s’effondre, les raisons qu’ils nous donnent chaque jour de jeter ce monde dans le gouffre, ou sur le bas côté, ou le laisser simplement là, au milieu du chemin, ce monde qu’on enjamberait bien comme un animal crevé, une pierre pointue, une pomme de pin éclatée sur le sol.