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Jrnl | Voyager pour t’appauvrir

[25•12•24]

mercredi 25 décembre 2024


Non, non, pas acquérir.
Voyager pour t’appauvrir.
Voilà ce dont tu as besoin.

Henri Michaux, Poteaux d’angle

Lucile Boulanger, « La Fugitive »

C’est donc la veille. Au pied du lit, un sac rempli : on n’aurait pas besoin de davantage qu’un sac presque débordant, des livres par dizaines dans une petite tablette plus ou moins d’argile, des feuilles volantes et un mauvais stylo, de bonnes chaussures plutôt, l’appareil photo et une carte, une main serrée dans la mienne et le regard de deux enfants qui ne savent pas où pourrait bien s’engouffrer l’horizon — et puisqu’on ne sait pas non plus, il s’agirait d’aller voir. C’est la veille : demain, ce sera Bangkok et le train vers le nord, le Laos ensuite et après, on ne sait pas ; quelque part devant soi, il y aura bien l’Océanie, la Nouvelle Zélande et ensuite ? Le Pérou, la Bolivie, la culbute des soleils, les fleuves qui boivent à même leur source d’or dans nos rêves, et puis, et puis ?

Lire quelques pages de Michaux ce soir confirme l’intuition : ne pas partir pour écrire, écrire appartient au geste du retour — partir pour partir (ce bref récit dans Kafka, de l’homme sur le départ, dévoré par le départ, et quand on lui demande où, il ne peut que répondre : « Je ne sais pas, je veux juste partir d’ici, juste partir d’ici. Ne cesser de partir d’ici, c’est seulement comme cela que je pourrai atteindre mon but. » Le but : la destruction du but. Rejoindre l’ailleurs afin qu’il ne devienne jamais un ici. Partir avec ces pensées d’inconfort, terribles même, et ce sac.

L’image en tête de ce texte : mon ombre effacée vers Saint-Eustache déjà partie et que je poursuis, que je ne fais que poursuivre depuis tant.

Je ne reviendrai pas beaucoup dans ces pages ; mes carnets se noirciront autrement et je déposerai peut-être quelques images en passant ; sous les images, les légendes inventées comme toujours.

Les événements se produisent dans un sens et nous les racontons en sens inverse écrivait Sartre : autant faire le choix de se libérer des sens et d’écrire comme on part, ou comme en voyage, sans savoir dans quel sens. Les événements n’ont pas besoin de sens pour se produire.

L’heure à mon poignet grattera plusieurs heures à la fois, et peut-être trouverai-je là le contretemps parfait, celui de n’habiter qu’entre deux battements où apercevoir l’histoire, et par où m’échapper.