arnaud maïsetti | carnets

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l’autel (rue Ponscarme)

mercredi 5 juin 2013




Comme au pied d’un autel il a dû déposer cette feuille, je ne sais pas, je n’ai rien vu, pas son ombre s’enfuir loin et c’était peut-être des heures après, mais quand je passe elle est là, déposée là à cause peut-être du mot mal griffé sur la planche, rue Ponscarme ou parce que c’était là qu’il le voulait, ou bien il l’aurait déposée plus loin et le vent jusqu’ici l’aurait poussée pour moi, ou bien, ou bien, mais cela ne m’appartient pas, j’ai lu les mots sur la feuille et je suis parti, j’ai tendu l’appareil, une fois deux fois, trois fois, trois fois tremblée l’image tant pis je suis parti c’était si impossible de demeurer là, comme devant le sacrifice on prend pitié pour celui qui tient le couteau, et on prie pour lui.

J’aurais voulu prendre dans mes bras le garçon qui était venu jusque là, rue Ponscarme et je lui aurais dit, ce que j’ignorais, qui était Ponscarme, graveur de l’empereur et des ministres, et qu’avec son ciseau il modelait des visages dans les pièces, je lui aurais dit ce que valent ces pièces aujourd’hui, rien, qu’un mourant à qui on les placerait sur les lèvres et les yeux fermés resterait à quai, je lui aurais dit pour ta douleur je n’ai pas la monnaie non plus, je n’ai rien que toi, alors je l’aurais serré davantage, rue Ponscarme, lui disant que ce n’était pas cela qui était pur, que la rue ne l’était pas ni cette vie, qu’il s’y était sali à force de cette lumière, mais que cette impureté l’avait lavé aussi d’elle-même, que sa beauté était pour toujours dans ce geste désormais lié à lui comme son corps, je lui aurais dit cela, le corps serré contre moi, les cheveux trempés de mes larmes, il aurait peut-être dit tais toi,

j’aurais voulu lui dire qu’il était sacré, et de cela il ne serait jamais sauvé, que c’était là son salut : de n’être jamais sauvé d’être sacré, qu’il lui faudrait tant d’années pour comprendre la lumière de la rue ce soir-là, qu’il n’avait d’ailleurs pas besoin de la voir longtemps pour la comprendre, j’aurais voulu lui dire : ta vie est sacrée parce que cette lumière l’est aussi sur ton visage, j’aurais voulu pleurer sur lui pour ne pas avoir à continuer à dire les mots qui ne servent à rien d’autre, ou alors j’aurais répété, tu es sacré dans la déchirure que tu portes, l’été brûlant qui vient n’oubliera jamais l’hiver, j’aurais répété les mots écrits sur la feuille, jusqu’à l’illisible de celui qui termine la dernière ligne, et j’aurais peut-être dit, pleure pour moi, aussi, un peu, si tu le veux, je t’en supplie.