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l’eau des fontaines qui coulent en Ukraine

[Journal • 06.03.22]

dimanche 6 mars 2022

Pourvu que le chant nous revienne,

Mon père, mort si jeune à la guerre,

Et l’eau des fontaines qui coulent en Ukraine
Altère notre soif dans les terres étrangères.

Borys Oliïnyk, « L’Écho »


Des phrases comme Les combats font rage à Tchernobyl, ou La ville de Marioupol n’existe plus sont prononcées et tombent sur nos écrans pour écrire notre histoire, et plus tard, ou avant, l’expression tapis de bombes est lâchée ; nous apprenons des mots nouveaux : thermobariques, Iskander ; bientôt le la réalité est recouverte sous le terme de sous-munition : nous ne cherchions plus à savoir de quoi nous étions contemporains, et voilà que se déclenche de nouveau le passé avec armes et fracas et cette fois documenté en temps réel, nous de l’autre côté de l’écran et de la frontière, à bout portant — rien que la banalité martiale, la course au pire, fuite en avant qui se dessine déjà dans l’engrenage des alliances : nous sommes sans mémoire, et c’est pourtant avec elle qu’ils font la guerre, les nostalgies rances d’empires qui n’avaient disparu que sur les cartes.

L’avenue d’Odessa est tout près d’ici, je la saluais le soir sans le savoir, elle levait le signe d’une appartenance à ce qui déchire les frontières, raconte une Histoire qui n’était qu’à venir : le mot d’Odessa dressé ici comme une autre sépulture, ou comme dans les mausolées, le cartouche qui reste quand les armes n’ont plus de munition — le soleil se couche sur l’avenue d’Odessa chaque fois que la mer appelle à elle un autre soir ; il se lève sur Kyiv quelques heures avant ici, comme pour nous prévenir.

Ils disent qu’ils sont un million et demi à être sur les routes. Ils disent que Kyiv tient. Qu’Odessa ne tombera qu’après Zaporojia. Qu’à Moscou, déposer une fleur sur le sol est passible de prison. Ils disent qu’on est préservé. Qu’il faut voter pour eux. Ils cherchent les slogans. Borys Oliïnyk est mort en 2017 à Kyiv. À la fin de L’Écho, il écrivait simplement

La paix, frères,

Elle vit de notre sang, frères,

Et tout notre monde

Vit de votre sagesse,

Mes frères.