Accueil > JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog) > l’idée de la pesanteur
l’idée de la pesanteur
[Journal • 29.04.22]
vendredi 29 avril 2022
Que pensent les jeunes hégeliens ?
Qu’il suffit que l’homme abandonne l’idée de la pesanteur pour être sauvé.
Marx
Que la réalité existe en dehors de soi est un miracle permanent — que le ciel tienne en équilibre sur sa propre étendue est la preuve du temps (comme la lumière est celle de la mort des étoiles, de la nôtre bientôt) : que la mer est la forme perdue des tempêtes, et la parole des rêves la manière que prend le silence d’emporter nos secrets, que le monde est cette machine inventée par les hommes pour les écraser et qu’il n’en reste rien sauf l’espoir de le renverser, la rage et la colère de ne pas s’en tenir là : toutes évidences qu’il semble vain de rappeler et que chaque génération redit pour elle-même, afin de ne pas sombrer tout à fait (pourquoi, alors qu’il le fait depuis le premier jour, le coucher du soleil oblige chacun d’entre nous à le voir, lever l’appareil photo vers lui, le prendre, et l’emporter : vers où ?) : ces jours n’ont rien de différents de ceux qui sont venus à bout Nabuchodonosor II lui-même, pour qui une seconde durait le même temps que pour nous autres ; voilà ce qui me relie à lui ce soir, la durée d’une seconde dans nos deux corps.
Le dégoût des autres en soi, on ne l’a pas suffisamment : le dégoût éprouvé quand on constate que tant d’autres nous habitent, et parlent en nous, nous dépossèdent de nous-mêmes — c’est un mot, une manière de le prononcer, ou de le taire, un geste, n’importe quoi — ; alors cette vie ne consisterait qu’à chercher ce qui n’aurait eu lieu que pour soi seul, et en soi seul dressé comme pour toujours dans l’éblouissement : ce n’est pas forcément une vérité éternelle, une loi destinée à demeurer, ce peut être une seconde à l’instant évanoui avant d’être recouvert du doute affreux de l’illusion, ce peut être insignifiant, comme un livre, une phrase dans ce livre ; ou une façon bien à soi d’être lâche : ce peut être cela, qui écœure davantage, mais nous appartiendrait.
Le rêve de cette nuit était irréfutable, lui : je me noyais ; en bas, le fond de l’eau ne se laissait pas deviner ; je levais la tête vers la surface : elle semblait inatteignable — alors, j’essayais de m’attacher à un souvenir afin qu’il soit le dernier et qu’il justifie les autres : mais plus j’essayais de me souvenir, plus j’oubliais que je me noyais, et plus j’étais terrifié.