arnaud maïsetti | carnets

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l’ombre de moi-même

mercredi 21 mars 2012


voir, partout où le refus de vivre est inutile, où commencer à marcher, et marcher ; considérer la ville comme ma seconde nature à l’herbe coupée haute dans la gorge où crier ; oh n’être que l’ombre de moi-même, allongée au soleil découpée à la hache par les immeubles là-haut, et sauter par-dessus elle comme à colin-maillard, ou saute moutons je ne sais plus, épervier, tous ces jeux d’enfants cruels et sublimes, je les suis,

oh n’être que l’ombre de moi-même pour dresser sur ma vie ce miroir sans reflet d’opacité lumineuse où ne voir que mon regard sur elle jamais mes yeux et jamais mon visage : la silhouette tracée de mes seuls cheveux coulés jusqu’au désir de ne plus leur appartenir ;

n’être que l’ombre de moi-même si tu savais la peine qu’il m’a fallu pour te trouver à mes pieds, pleurant comme si tu me demandais d’être mon ombre, quand je ne désire que la proie, et là où elle se cache, là où elle s’offre, tombée ;

n’être que l’ombre et jamais moi-même, seulement la lumière qui vient la recouvrir, comme la source vient rejoindre la soif, plus bas, où le soleil tombe, et ne bascule que pour renaître quelque part où le Fleuve coule à même la gorge, comme tout ce désir répandu sur nos corps emmêlés dans toutes les chambres seules ;

n’être que l’ombre de moi-même, et quand je pose les yeux sur elle, l’ombre regarde en moi ce que je ne suis pas : là précisément où j’irai, l’arme à la main, la rage douce, la tendresse prête à tout pour ne pas finir de commencer, un coup de main aux cheveux rapides, la vie dehors passe trop lentement, être ailleurs où il faudrait, l’ombre sur le mur laissée là, en attendant qu’elle s’efface avec la nuit : vient le jour, que reste-il de moi — tout le reste, je suis les contours effacés de mon ombre, je suis le dépôt de rage aux contours du ciel, je suis la face blanche qui cerne les yeux, je suis les yeux posés sur le mur posé sur la ville posée sur cette terre posée en équilibre sur ma main, je suis le dessin de ma main sur l’écran, je suis les lettres lues, je suis l’histoire que l’histoire raconte ; je suis le refus inutile de ne pas vivre.