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la colère et la tendresse

vendredi 28 octobre 2011


Derrière la vitre — mais qui est derrière la vitre : moi ; ou tout cela qui vit de l’autre côté, dans sa lumière – passent des présences affolées : je me retourne, ce n’était rien. Seulement des fantômes de ma présence passée ici, à cette même place, dans ces mêmes heures, qui disent

quelle beauté, oui, les couples en pleurs au milieu des trottoirs, les motos renversés, au matin, les ponts qui montent et descendent


Quand je reviens là, j’y suis encore par dizaines. Mes corps du passé demeurent là. Non pas qu’ils m’attendent, ils n’attendent rien. Ils vivent là leur vie de fantôme, ils jouent entre eux à Colin-Maillard au bord d’une falaise haute de douze mois. Ils ne me voient pas. Je serai bientôt des leurs. J’entends à peine leurs voix, qui répètent

les jour qui se lèvent n’importe comment, les draps défaits comme des flaques de lait, des visages plus longuement démaquillés que maquillés


C’est un effet de souffle. Le temps qui reste ici, sous les colonnes du Louvre devant les statues qui sont autant de sœurs sur les parois enfouies du soir, reste pour toujours. Quand je passe, je dépose là une part de ce corps. Ce n’est pas de passé que le temps est fabriqué, on se trompe là-dessus, mais de présences successives, successivement abandonnées, auxquelles on renonce parce qu’on n’est plus à leur hauteur. Je passe. Leurs voix continuent

rien qu’à dire aube l’aube qui se dresse, et les voix cassées qui se cassent davantage avec le désir, et les adieux qui recommencent


Sur la vitre, j’essaie de contourner mon reflet pour mieux voir. Je n’y parviens pas. Je pose l’appareil photo contre la vitre. Je ne vois que mon œil. Derrière, les statues dansent, je le sais. Elles chantent sans mélodie

les mots qu’on se dit pour ne pas dire les autres, et les plats qu’on échange pour dire tout le reste, les endroits où allonger nos corps qui


Quel mot dire pour briser tout cela. Je n’entends plus les voix qui se poursuivent

n’existent pas encore, tout cela comme on raconte des rêves, qui passent dès qu’on les raconte, et on est obligé de les inventer, oui


Aucun, seulement jouer au funambule au-dessus des bassins vides de la Grande Pyramide. Et parler pour faire vibrer le froid, le désir insensé en sa juste place ; tandis que lentement on les entend encore

alors on les invente parce qu’on ne sait faire que cela, et qu’on est fait pour cela, et pour les dire encore, et pour s’en aller un jour


Du visage, je sais les contours tels que je pourrais en fermant les yeux, recomposer ce désir. Mais ce qu’il porte en lui. Ô, voile épais des cheveux, qu’il faut franchir.

voilà pour la colère


Les ombres passées de moi se déposent une à une, ici, devant la vitre glacée, miroir sans tain d’une réalité immobile et belle comme ce n’est pas possible. Il restera toute une vie pour la dire.

et voilà pour la tendresse