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La longue nuit sur l’horizon

[Jrnl • 15·10·22]

samedi 15 octobre 2022


Et Éôs aux doigts rosés eût reparu, tandis qu’ils pleuraient, si la déesse Athènè aux yeux clairs n’avait eu une autre pensée. Elle retint la longue nuit sur l’horizon et elle garda dans l’Okéanos Éôs au thrône d’or, et elle ne lui permit pas de mettre sous le joug ses chevaux rapides qui portent la lumière aux hommes, Lampos et Phaéthôn qui amènent Éôs.

Homère, L’Odyssée (trad. Leconte de Lisle, 1893)

Il n’y a pas d’issue et cela ne nous condamne à rien au contraire (pensées vaines et stériles qui viennent en conduisant encore dans les images des rêves oubliés de la nuit, slalomer entre la fatigues et les poids lourds, les motos, les hurlements du dedans, soi-même être cette tablette d’argile brisée dans le sommeil et ce qu’il en reste, quelques lettres illisibles parmi le sable, quoi d’autres), pas d’issue, non, parce qu’il n’y a pas non plus d’entrée, seulement ce qui s’enfuit — si les routes ont remplacé les chemins après que les chemins ont remplacé les dunes, que les directions finissent par conduire quelque part, il y a toujours entre ici et là ces grands morceaux de ciel répandus qui sont peut-être les mêmes qu’avant toutes choses et qu’après toutes morts, et c’est là qu’on est.

Ce qui pèse, oui, c’est l’impression de vivre dans ce grand dedans qui nous accable : je ne sais pas si c’est cela, « l’idéologie » : l’impossible dehors, le fait que toute phrase est retournée vers nous comme le symptôme de notre culpabilité, que si l’on pense cela, c’est forcément parce que ceci — déterminisme, fatalité, faute d’appartenir à tel cercle du genre humain —, alors ce serait la tâche, la seule désormais : chercher ce dehors, et ce peut être écrire si écrire ne relevait pas aussi d’un autre cercle enfermant des appartenances coupables, un autre dedans, une autre condamnation à l’appartenance : et pourtant, et pourtant.

Chercher les territoires des désirs transparents, des finalités sans fins, des nuits sans bornes et des jours sans nuits, traquer dans l’ombre ce qui restera dans l’ombre, ne plus appartenir qu’à ce qui déchire en soi le sentiment d’être soi ; si le ciel est une leçon, immanente et cruelle, c’est parce qu’il est irrécupérable, indéchiffrable et insensé — et toujours ce qui est là et échappe.