arnaud maïsetti | carnets

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La mer indéfinie

[jrn • 08·11·22]

mardi 8 novembre 2022


Ce que je sais, ce qui est mien, c’est la mer indéfinie. […]
Tournant le dos, je partis, je ne dis rien, j’avais la mer en moi, la mer éternellement autour de moi.
Quelle mer ? Voilà ce que je serais bien empêché de préciser.

Michaux, La mer

Ce qu’il y a de plus sourd en soi, de moins abordable et de plus éloigné, de plus précis pourtant, qu’on pressent comme le lieu même d’où serait possible ce qui serait possible, cette porte en soi qu’il suffirait d’ouvrir pour que — ce qu’il y a plus de terrible, de moins avouable, une mer mais hors l’effort de mordre aucune terre, sans ressac, seulement ce qui ferait d’une terre la terre sur quoi surgiraient de temps en temps des cadavres qui nommeraient faute de mieux des continents, là-dessus les étoiles feraient semblant d’aller et de venir, des constellations jetteraient leurs lueurs depuis des passés lointains et donneraient l’impression d’écrire le futur, tout cela qui, en soi, forge cet amas de colère et de tristesse, et de désir aussi — mais de quoi ? —, et la soif, comme on ne peut l’avoir que devant la mer qui ne répand que le sel des larmes, et face à quoi on regarde le temps en rêvant d’espace, et que tout s’achève.

Dix jours loin sans rien noter ici et comme à chaque fois l’impression d’avoir laisser les jours s’échapper ; il ne s’est rien passé que l’essentiel : le sentiment impossible d’exister, les nuits perdues, et toujours, traquer les raisons d’être comme si c’était des bêtes qui ne laissent que des traces et dont on entend, au loin, les cris à la mort.

Nous sommes la pointe la plus avancée du temps : c’était la pensée évidente, banale, et terrifiante au réveil — toute l’histoire de l’humanité n’avait eu lieu que pour produire cette réalité-là, et ces méthodes de gouvernement là, et ce théâtre là, ces silences et ces ombres là dans la chambre vide où s’amassaient tout à la fois le désespoir des ancêtres et leur ultime survivance.