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la nuit est illuminée d’épines
[Journal • 22.06.22]
mercredi 22 juin 2022
Où que nous allions sous l’orage de roses
la nuit est illuminée d’épines, et le tonnerre
du feuillage, naguère si doux dans les buissons,
est désormais sur nos talons.Ingeborg Bachmann, « Sous l’orage de roses »
Le soleil ne tombe pas seulement, il s’éloigne : on pourrait tendre les mains, on ne toucherait que sa lumière et sur les arbres ce qu’il laisse de souvenirs sitôt effacés par l’angoisse, on ne saura pas le dire, on l’emporte avec soi comme dans l’enfance la terreur d’être abandonné ou celle de ne pas l’être — dans le parking, au troisième sous-sol, l’homme qui dormait vers dix heures du matin, protégé par cette citadelle de bouteilles en plastique à demi remplies d’un liquide noir, quels rêves fait-il de quelle conjuration formée dans quelles douceurs, sous quelles peurs ? —, le ciel qui s’efface quand la nuit vient laisse toute sa surface à ce qui ne possède ni nuance ni durée sur quoi se répandre en entier.
Jours où le temps manque, mais on ne sait pas où il va ; s’assommer de musique sérielle, de films seulement pour apercevoir le visage de Jean-Louis Trintignant très jeune, refuser de savoir l’histoire, regarder plan par plan pour arracher un secret (ne pas le voir), et filer en train dans une autre ville : perdre la course.
Tout le pays s’enfonce ainsi dans l’hystérie institutionnelle : le pouvoir constate effaré son jouet cassé — ils avaient construit avec beaucoup de science un verrou qui empêcherait toute autre chose que la violence du fait majoritaire et voilà que la clé s’est brisée dans la serrure : on nous disait qu’il fallait à tout prix voter « comme ceci » pour ne pas empêcher la démocratie [sic] d’advenir : comme si leur démocratie ne résultait pas précisément d’un vote : dans ce délire d’insomniaque qui marche dans le vide et qui se réveille, le sol à mille pieds dessous, s’accrochant au vide pour ne pas tomber, impossible de ne pas observer le comique atroce dans quoi tout se précipite — et d’entendre le frottement de mains de qui on sait, leur rire déjà gras, le bruit de couteaux qu’on aiguise.