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La proie d’un insultant cauchemar
[jrn • 10·10·22]
lundi 10 octobre 2022
Alors le fou recula de quelques pas, comme s’il était la proie d’un insultant cauchemar ; les lignes du bonheur se peignirent sur son visage, ridé par les chagrins ; il s’agenouilla, plein d’humiliation, aux pieds de son protecteur. La reconnaissance était entrée, comme un poison, dans le cœur du fou couronné ! Il voulut parler, et sa langue s’arrêta.
Lautréamont, Les Chants de Maldoror (1874)
Que toute la réalité ensemble — imagination et terreurs comprises — soit une seule et même machination, voilà qui apparaissait comme la vérité crue et nue, nue comme une épée qu’on aurait plongé dans l’eau et qu’on ressortirait ainsi, semblable et dévoilée, prête à servir et tant pis pour le reste : vraiment, comme la vérité entièrement livrée à soi pieds poings liés et sanglotante et ne demandant même pas grâce et qu’on en finisse une bonne fois pour toute, oui.
Le désir d’écrire une courte et nerveuse pièce de théâtre qui aurait eu pour cadre la découverte de Ninive (d’un cimetière) m’a saisit, sous la douche brûlante ; il y avait là, ramassée, toute une fable délirante et nécessaire, urgente et intempestive, où se serait révélée cadavres après cadavres, poteries brisées et inscriptions gravées entremêlées, l’histoire même de toutes les histoires, et sous la poursuite du passé dans l’urgence d’une hausse des eaux soudaines, vraiment, la pièce était là, toute la pièce dont j’entrevoyais déjà l’enchaînement fatal de la fatalité même, je ne m’interdirai cette fois aucune de ces machineries grossières qui m’indignent tant, l’argument tiendrait en une seule journée, tous à la fin finiraient dans la fosse commune qu’ils avaient mis tant de temps et de patience à éventrer : ce désir, puissant, précis, vaste, aura duré le temps de cette douche, et j’y renonçai évidemment aussitôt.
Nous ne sommes pas différents de ces inscriptions en allemand sur les murs de Marseille, hurlant silencieusement des rédemptions qui ne sont pas de ce monde, mais composant pour cela, comme autant d’insultes, des prières déposées en vers impeccables et serrés que personne ne lit sauf quelques touristes perdus et des hommes comme moi toujours en retard qui prennent les images comme un voleur avant de s’en aller commettre ici et là d’autres lâchetés.