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la solution du problème de la vie

[Journal • 11.03.22]

vendredi 11 mars 2022

11 mars 2022

« La solution du problème de la vie, on la perçoit à la disparition de ce problème. »

Wittgenstein, Tractacus logico-philosophicus


On perd vite l’habitude des départs, des villes de passage et de leurs hôtels où le sommeil vient toujours trop tard : quelques jours à Toulouse, y entendre parler de la voie négative de la mystique, tâcher aussi de dire ce qu’il en est, pour soi, de ce qu’on retranche pour mieux arracher, et par-dessus ou à travers, encore et toujours essayer de traquer les armes sensibles capables de lever quelque chose en soi : et finalement, j’aurais surtout pris des photos de ponts, autant dire des reflets en perspectives fuyantes, images saisies au vol tandis que je courais, faisant rouler la ville sous moi, les yeux sur le téléphone pour savoir où j’allais et comment rentrer : le train ne se pose pas tant de questions ; sur la vitre, dehors, le monde s’efface sans pudeur.

J’aurais aussi beaucoup lu le Tractacus : c’est faux, on ne peut pas le lire, on regarde les phrases, on en parcourt les beautés sans fard, on ne peut les entendre que comme des fragments d’un poème, ou alors il ne reste que la drôlerie de surface (« les faits appartiennent tous au problème à résoudre, non pas à la solution »), au tragique de la banalité (« Ainsi dans la mort, le monde n’est pas changé, il cesse »), à la beauté des évidences (« Notre vie n’a pas de fin, comme notre champ de vision est sans frontière »), à l’indécence de la pensée nue (« Le monde l’homme heureux est un autre monde que celui de l’homme malheureux ») — reste ce qui reste, par exemple dans les mots lâchés par cet historien de l’art, lors de ces journées de colloque (mot qui rassemble en lui-même, le tragique et la banalité, de sorte qu’il est impossible à prendre au sérieux si on ne perçoit pas aussi son comique) : « Les choses impossibles à dire sont aussi les plus intéressantes », et puis l’historien de l’art a continué de parler.

Dans le train maintenant, la terre redevenue ce paysage défilant à trois cents kilomètres à l’heure, indifférent, je lirai les journaux, en consultant une carte de l’Ukraine, lisant le nom des villes, mesurant combien le monde se rétrécit encore, et encore, écoutant les informations, cherchant à savoir autant que possible ce qui se passe, être saisi de honte de le chercher, sachant aussi d’évidence que la honte me saisirait d’autant plus si je ne le cherchais pas, alors songeant une dernière fois à Wittgenstein, lisant la dernière phrase du bel ouvrage : Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence.


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