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la ville est impossible (ciels d’ouest)
jeudi 13 mars 2014
À l’ouest est une porte, là que les anciens disaient croire la mort et ils y croyaient tant qu’elle tombait sur eux, chaque jour quand le jour descendait.
Je garde pour moi les images des ruines sur lesquelles tombe le ciel, et peut-être le ciel tombe-t-il pour cela, pour elles et pour le sacrifice qu’elles implorent et que le ciel honore.
Dans cette ville, je me suis longtemps demandé pourquoi demeuraient vides le soir ces larges rues commerçantes près de la rotonde, alors qu’il y a tant de porches pour s’abriter du vent et dormir, ou dealer, ou rester là simplement. Hier, je suis passé, et, sur toute l’avenue, le désert. On passe par là mais quelque chose d’insupportable, de malsain, empêche de respirer ici et de rester longtemps : quelque chose d’imperceptible qui rend ces lieux si bondés le jour impossibles la nuit. Finalement, on m’explique, en rentrant du théâtre : ce sont les ultrasons, sans que je m’en rende compte, qui nous en chassent : comme c’est simple au fond. Même méthode que dans le métro ces bancs qu’on scinde avec des accoudoirs pour empêcher les hommes d’y dormir les nuits de grand froid. La ville est un espace bâti contre nous.
Contre elle, on possède le ciel et quelques ruines, voilà tout.
Contre la ville, haïssable et impossible à vivre, pas faite pour qu’on y vive (mais hors de laquelle on ne saurait vivre), on possède les lumières d’Ouest.
Je garde pour moi les légendes d’Angkor, qui faisaient de l’ouest une tombe, puisque le soleil y venait mourir, autant le rejoindre ; là-bas qu’on levait l’encens et les yeux à mesure que le soleil descend. Je garde pour moi, en partage, la lumière qu’il fait sur des ruines où l’Est est partout pour qu’on regarde à l’Ouest.
Là où le soleil descend est là où l’on vit — toujours le soleil ne descend qu’à l’endroit où il se pose sur nous. Si la mer vient le recouvrir, c’est une forme de ville. Où qu’on aille ici-bas, il y aura de l’ouest, c’est une grande leçon. On aura beau courir. On aura beau s’y jeter, et rejoindre la mer.
L’ouest est un grand trou avec des corps entassés qui sont nos rêves et nos désirs d’ailleurs, commencer par l’est est une façon de commencer la vie là où la tombe se retourne en berceau. Là où le trou dans lequel on plonge les yeux est de la terre noire retournée et fraiche, où les rois d’Angkor dorment et veillent la poussière qu’on emporte sous la chaussure jusque dans nos villes d’Ouest, qui relèvent de leur poussière et de nos insomnies.