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la ville est un sas (et la lumière)
samedi 8 septembre 2012
Entre le bureau et le bureau, la ville est ce sas. Tous les matins, vers 9h, puis le soir, quand le soleil tombe, il est 19h, être seulement dehors celui qui croit qu’il n’est plus dedans. On a comme cela, de ces ruses. Pour tromper qui ? Quand je me retournerai sur ces mois (cela finira bien par arriver), il me restera peut-être ces marches par dessus tout, quand il s’agit de faire le vide : en fait, le vide se fait tout seul. Même plus besoin de musique. Sortir dans le vide de soi. Voir seulement se lever puis tomber la lumière. Il restera seulement de la ville dressée entre moi et le temps pour la rejoindre ; sur la table ce qui repose, et en moi ce qui se dresse puis retombe, se redresse encore,
c’est par exemple ce fragment de ville allongée avec au loin la ville levée ; pourquoi ces souvenirs de Montréal soudain ? La brique rouge, peut-être, la lumière et tout ce ciel sans doute, l’allure lente de la ville ici (le désir d’y retourner),
c’est toute cette hauteur des choses qui semble infranchissable, et y aller pourtant à mains nues ; parfois je regarde derrière l’épaule, en bas, je ne vois plus le sol ; mais je ne vois pas la hauteur du ciel non plus, seulement mes mains détruites sur la pierre, que je lève encore, trace les lignes droites sur fond penché ou est-ce l’inverse, je prend exemple sur l’avion, une ligne après l’autre,
c’est la lumière que j’intercepte, je la recueille sur telle pierre, qui elle-même la recueille sur tel immeuble là-bas, qui lui-même l’a prise à un autre, et l’origine ainsi dégradée de la lumière finit par se perdre, on ne sait plus si elle existe vraiment, seul importe le geste de celui qui va la prendre, là, ici ; je veux bien être celui-là,
c’est parfois le soleil en face, quand c’est insoutenable, et que je soutiens le regard, il est si tard, les yeux pourraient fondre, c’est le soleil qui cède le premier,
c’est l’ombre coulée de la vie jusqu’à moi (ou est-ce mon ombre à moi, coulée, jusqu’à elle),
c’est le sexe du soleil,
c’est le sang perlé du soleil à la coupure de la ville,
c’est tout cela que la lumière rend invisible, sauf elle,
c’est tout ce chantier que j’ai élaboré comme s’il pouvait tenir droit, une maison que j’ai habité près de cinq ans, les trois dernières chaque heure de chaque minute, un rêve que j’ai fabriqué, percé de fenêtres, pas assez peut-être, et la porte, oui, où la porte (je sais les pièces secrètes),
un seul mot pour accéder à tout, mais ce mot, oh, combien il a besoin de milliers d’autres,
c’est the trees of life là-bas.