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le cri | Annie Rioux
vendredi 2 octobre 2009
Il m’arrive souvent de tomber en rêve, quand pourtant je marche. C’est au lever du jour, alors que les carnets se répètent et se chargent de l’excédent du monde. Dans l’immolation, ce qui ne se dit pas. Le silence court, je note, l’intimité des choses qui est la mort, ce que dit Bataille - des faces battues dans les dédales du métro, le bruit des bracelets d’une femme en sursis, et l’homme mordu par l’insomnie, qui fixe l’arrondi de ma chaussure avant la marche. À descendre. À la remontée on se choque, se cogne nerveusement dans l’escalator, on rêve encore. Peut-être aussi qu’on meurt. On s’immole, on écrit le livre des corps par l’érosion, sans savoir, même, ce qu’écrire veut dire. On occupe les lieux, moi je cherche à cerner ma propre occupation, le dos contre une porte de métro un matin de deuil, tous les matins du monde. Comme d’habitude, on se prend la ville en pleine gueule, raide, souffre les gens blasés, dès la première heure, les regards froids et les respirations épaisses. Je suis heureuse de ça. De tout ça. Le présent est bloqué pour quelques minutes, quelques heures durant il n’en tient qu’à moi, d’abord que je rêve, je traque les signes du désespoir, les désirs muets dans le flot du monde en rade. Je note tout, la blessure qu’elle porte au poignet, je la prends, le désert sur son front à l’autre, je l’emporte et sa voix dedans, comme le cri silencieux d’Edvard Munch. Je ne suis personne, je suis tout l’excédent du monde. On s’éveille, tantôt, dès que je me réveille bordée de ton infini squelette, de ta main sur ma gorge, qui serre tendrement. Je voudrais dire quelque chose, mais je tombe et ce grand cri du monde qui reste emprisonné. Avec toi je meurs en rêve toutes les nuits. Je ne me lève pas, et pourtant, les carnets s’écrivent et débordent.
Annie Rioux
Sous l’incitation de Jérôme Denis (de Scriptopolis) et François Bon (de Tiers livre), le premier vendredi du mois est l’occasion de Vases communicants : idée d’écrire chez un blog ami, non pas pour lui, mais dans l’espace qui lui est propre ; vases communicants. Autre manière, comme l’écrit Scriptopolis, d’établir les liens qui ne soient pas seulement des directions pointant vers, mais de véritables textes émergeant depuis.
Pour les Vases communicants #4, Annie Rioux occupe l’espace ici, et ce jour, je suis chez elle.
Et d’autres vases communicants ce mois :

Pascale Petit ("tor up") avec Anna de Sandre ("biffures chroniques")
Nathanaël Gobenceaux ("les lignes du monde") avec Brigitte Célérier ("paumée")
Frédérique Martin ("carnet") avec "Désordonnée"

François Bon ("Tiers livre") avec Philippe Maurel ("La Vie dangereuse)

Gilles ("Lignes de vie") avec Christophe Sanchez ("Fut-il ou versa t’il dans la facilité ?")

Anne Savelli ("Fenêtre open space) avec Martine Sonnet ("L’employée aux écritures")

Michel Brosseau ("à chat perché") avec Mahigan Lepage ("le dernier des Mahigan")

Dominique Boudou ("C’était demain") avec Cécile Portier ("Petite Racine)

Jérôme Denis (Scriptopolis) avec Baptiste Coulmont ("Blog")

Élise Lamiscarre ("Même si") avec Pierre Ménard ("Liminaire")
Jean Yves Fick ("Gammalphabets") avec Yzabel ("Aedificavit")