arnaud maïsetti | carnets

Accueil > JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog) > le lendemain ou un autre jour (changer de brouillard)

le lendemain ou un autre jour (changer de brouillard)

mercredi 23 mai 2012


Le lendemain ou un autre jour — les jours se confondent et les heures : il est toujours une autre heure quelque part, alors j’ai renoncé ; oui, toujours le décalage horaire est une erreur : une invention d’ici, quand le corps désire toujours s’accorder ailleurs —, poser la valise ne repose de rien, ni du trajet, ni des départs. Ici, la pluie ne tombe même plus, sans doute de fatigue, elle a cessé. Le jour s’acharne à durer jusque si tard, mais dans sa clarté de mourant dès l’aube, il n’y a rien qui ne résiste que son déclin, à chaque minute prolongé, qui persiste, et quand la nuit vient, personne pour la voir, aucun éclat bleu soudain qui la fait surgir ; moi, je la regarde, avec mon nouveau visage, poussé sur moi comme le contraire d’un visage (j’ai laissé mes lentilles à Montréal : les yeux qui l’ont vue restent avec elle, c’est bien.)

Et peut-être la mer, tout le pays soulevé là-bas comme, non, pas la marée, mais la mer au milieu de la mer, qui sait qu’elle va mordre plus loin, plus tard, la terre déjà prête pour l’amour des corps échoués sur les rives, cette mer rouge et blanche de lumière, tout le pays là-bas tandis qu’ici tout ce pays n’est resté qu’ici, le pays d’ici, trottoirs jusque sur les murs, et pas de ciel, seulement des ouvertures entre deux immeubles qu’il faut chercher, et creuser avec ses ongles.

Comme si l’on changeait de brouillard, mais à quel taux : ici, le brouillard personne que moi ne le voit, que moi ici qui le passe comme du fil dans la toile tissée d’un jour plus long que trois ans, à lever ma toile que je rêve voir faire le tour d’un corps entier (le mien) : il fait si noir dans cette chambre, et dans ce corps, que je ne vois pas mes doigts taper dans le bruit ces mots que je me laisse dicter par la fatigue qui tout autour, sur les yeux, les cheveux qui m’invisiblent, le visage bronzé sans doute par l’attente des terres à venir, danse.

Moi, je me laisse danser par la fatigue et je pense à ce qu’il faudrait penser pour continuer d’être ailleurs ici. Je me laisserai danser jusqu’au jour suivant, s’il l’ose. Je me lèverai encore une fois bien avant l’aube, vers midi. Il fera toujours aussi nuit. La danse, sur le sol, retombée. Visage encore plus neuf, de pousser sur moi comme le contraire d’un masque. Posé contre le mur, ma valise défaite, de quel combat. Autour de la poignée, les inscriptions incompréhensibles des voyageurs — YUL, comme pour dire, langue inouïe, mais quoi. Sur la table, le travail m’attend. Moi, je ne l’attends pas, le devance même, d’une longueur de mon corps, de toute cette vie latente. Va, que la vie vienne l’épuiser, et l’inventer devant moi, plus loin.