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le sacré qu’aucun sacré ne fonde

[Journal • 03.08.22]

mercredi 3 août 2022


nous/chantions attentifs à la trace des dieux enfuis mais pour/qui pour quel peuple animal bêtes non fictives meutes menées/à l’équarrissage dépecées/proies toujours/en ligne de mire et dans la nuit/du monde nous disions le sacré/qu’aucun sacré ne fonde

Christophe Manon, Au nord du futur [2022]

Cris, froissements d’aile, cendres brisées, chute de feuilles dans l’été mort-né, feux parmi ce qui s’éteint, chats dans le noir s’étranglant ou jouant, comment le savoir, nuit du milieu de la nuit, l’insomnie qui vient n’a rien à voir avec la réalité ni avec le rêve, c’est plutôt l’intervalle qui rend possible l’une et l’autre, et haïssable l’une et l’autre, et doucement, le mot indéchiffrable prend le dessus sur tout ce qui n’est pas lui, il ne reste que la lumière fendue de la lune par la fenêtre horizontalement découpée comme des lanières, et autour du lit, le monde entier qui ne sait pas qu’il est observé depuis l’autre côté des choses où je me tiens.

Hier soir, au Bain des dames, les silhouettes dans la mer quand le soir devenait ces strates de couleurs diffuses, du noir là-haut, en bleu d’encre, puis blanc par-dessous, jaune ensuite, et orange, et rose, et rouge presque ocre, et voilà tout : des aplats vite posés sur la surface de la toile, que la seconde suivante chassait, effaçait, et reprenait tout : le monde ne commence jamais qu’après qu’on l’a vu, et alors il cesse — et devient cette nuit où on se baigne, en chuchotant, au milieu des odeurs de viandes trop cuites et de cigarettes oubliées dans le sable.

La peur, c’est ce qui nous reste quand on a tout perdu, même soi-même : me disais-je, dans l’insomnie, pour me rassurer — la peur, et la beauté.