arnaud maïsetti | carnets

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le sang chante

[22•09•22]

jeudi 22 septembre 2022

Les yeux flambent, le sang chante,
les os s’élargissent, les larmes et des filets rouges ruissellent.
Leur raillerie ou leur terreur dure une minute, ou des mois entiers.
J’ai seul la clef de cette parade sauvage.

Rimb.


Sur la paroi, le chiffre, comme autrefois les mammouths entiers et les chevaux furieux, les mains, tout ce qui ne se dépose que dans le noir et qui n’était que crachats à la lueur des torches apeurées, des corps nus tendus là-haut tandis que dehors, le tonnerre et les bêtes, et les hommes qui sont d’autres bêtes, et la foudre qui est la vraie bête, puissante et torve, de ce temps qui n’a pas d’origine, origine confondue avec elle et qui pourtant déjà se sait mortelle : c’est le même signe, la même rage d’être vaincu et de ne pas s’en tenir là, écrire : écrire cela ou autre chose, alors cela — « La littérature est l’essentiel ou n’est rien », hurlait tranquillement Bataille, et il lui arrive d’être ce point ultime et parfait où elle est les deux à la fois, par exemple dans une phrase lâchée ainsi sur les murs de Noailles tandis que la fatigue était plus grande que le monde et que je rentrais, et que je trébuchais sur moi-même, sur cette phrase.

Évidemment que je pense à cette autre phrase, presque la même, écrite sur les pierres fumantes d’un fort de Nouvelle-France parmi les massacres de ceux qu’on disait Sauvages et qui ignoraient le mot autant que Dieu les avait ignorés quand Il s’était abaissé à vouloir sauver les Hommes seize siècles plus tôt, et parmi des bêtes qui ne se donnaient plus la peine d’être furieuse, la fumée monte, les presque cadavres dans les ruines du poste avancé hurlent encore sans trop savoir pourquoi, la soldatesque avance, remue la cendre, n’y trouve que de la cendre et au détour d’une palissade effondré, ce mot sur une pierre : nous sommes tous des sauvages écrites dans un français impeccable par un déserteur qui restera sans nom et qui s’est enfui dans les forêts de quelque Nicaragua de Québec pour mieux se confondre avec les colombes et l’oubli jusqu’à retomber quatre siècles après sous mes yeux.

La beauté n’est pas seulement sauvage, elle est nue, entièrement, comme la vérité, comme la tristesse, comme la joie pure de verser des larmes sur soi-même, comme tout ce qui échappe à toute comparaison, comme ce qui ne peut se voir que dans le désespoir et la terreur de ne plus être capable de rien voir après elle avant de constater que le temps est passé sur tout cela aussi, et qu’il n’en reste rien.