Accueil > JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog) > les cheveux flagellés par le vent des tempêtes (la rage, la noirceur, et les (...)
les cheveux flagellés par le vent des tempêtes (la rage, la noirceur, et les visions premières)
jeudi 15 mars 2012
Et, quand je rôde autour des habitations des hommes, pendant les nuits orageuses, les yeux ardents, les cheveux flagellés par le vent des tempêtes, isolé comme une pierre au milieu du chemin, je
Les nuits sont comme des morceaux d’étoffe où je m’enveloppe lentement : mais ce soir, pour le premier soir de l’année, pas besoin de manteau en plus, la nuit suffit, on sort dans la douceur, je marche sans sentir le dehors sur ma peau et ma chemise flotte sur moi sans me toucher vraiment ; je regarde. Ce que je vois possède même forme, une longue ville que je transperce comme un corps offert qui ne se défend pas. C’est bien. On entre dans la saison. Tout à l’heure, tendrement, j’ai déposé sur le lit mon écharpe. Sur l’écran de l’ordinateur, le travail clignote. Je pense alors à cette phrase, quand on me demande et que je réponds, j’avance. Mais où. Personne ne me demande. On demanderai pourtant, à un garçon dans la ville perdu, où : s’il disait seulement j’avance, on le regarderait avec un peu de pitié, on lui prendrait la main, on lui caresserait le front, on repousserait ses cheveux, y déposer peut-être un baiser sur la brûlure de ce front. Non ; moi quand je dis : j’avance, on baisse la tête, un signe de reconnaissance, on me laisse passer sans rien ajouter : mais où. J’ai soif et pourtant il fait nuit. J’avance, mais où, devant, il n’y aurait que la noirceur grande ouverte où je pénètre, de la lumière seulement en moi, protégé du vent par le désir de la protéger du vent, et plus j’avance, plus elle est secouée par le vent, j’avance encore et je
… couvre ma face flétrie, avec un morceau de velours, noir comme la suie qui remplit l’intérieur des cheminées : il ne faut pas que mes yeux soient témoins de la laideur que l’Être suprême, avec un sourire de haine puissante, a mise sur moi.
Alors je ferme les yeux. D’autres formes aussi nettes apparaissent. Je les ouvre, et la ville est toujours là, si nette. Depuis que j’ai ces lentilles, je fais l’étrange expérience de n’être plus libre de mes regards : le point se fait partout tout le temps, jamais mon regard ne peut se perdre désormais. Vision totale et immédiate du réel. Lequel. Je ne le choisis plus désormais. Il vient à moi comme des visions premières, toujours premières. Dans la nuit, quand les larmes de fatigue ou de froid viennent, un flou léger se forme et je reprends pied dans mes intérieurs. Je croise des visages que je ne reconnais pas et je marche plus vite pour chasser la ville qui m’attend déjà plus loin, dans ce square là-bas, des trafics, où il faut baisser la voix pour dire le prix.
Chaque matin, quand le soleil se lève pour les autres, en répandant la joie et la chaleur dans la nature, tandis qu’aucun de mes traits ne bouge, en regardant fixement l’espace plein de ténèbres, accroupi vers le fond de ma caverne aimée, dans un désespoir qui m’enivre comme le vin, je meurtris de mes puissantes mains ma poitrine en lambeaux. Pourtant je sens que je ne suis pas atteint de la rage ! Pourtant je sens que je ne suis pas le seul qui soufre !
Pas encore, pas assez : la rage vient pourtant, je ne dors pas sans elle, c’est elle qui me jette sur le lit. Je ne sais pas : si je m’endors avec mes lentilles, est-ce que ma vue sera meilleure aussi, et quelles visions neuves ? Depuis que je dors avec les rideaux grand ouverts, le réveil est lent et multiple, les rêves s’enchaînent et se confondent les uns dans les autres, et dans la veille aussi. Les lentilles sont posées à côté du lit, une arme possible. Je ne m’en sers pas. Je laisse cette vision nette et fausse du rêve, la myopie agir dans les pensées rêveuses. La ville ne fonctionne pas différemment. Dans cette solitude du réveil, la pensée que je ne suis pas seul non plus revient lentement. Le prix de cette solitude, n’est pas celui que je paie seulement sur l’écran. D’ailleurs, il clignote lentement encore à l’aube (je n’éteins plus l’ordinateur). De l’autre côté, quels récits encore où mourir d’être encore en vie, et auprès de moi, seul, auprès de quoi, de qui, vivant, du désir de l’être, mais cela ne suffit pas. Noirceur de suie sur laquelle je souffle, éparpille des cendres, et la suie qui demeure dessine des formes étranges qui ressemblent à ma vie.
Pourtant je sens que je respire !