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les lointains sont par trop loin
vendredi 17 juin 2011
Le monde moderne
La vitesse n’y peut mais
Le monde moderne
Les lointains sont par trop loin
Et au bout du voyage c’est terrible d’être un homme avec une femme…« Blaise, dis, sommes-nous bien loin de Montmartre ? »
Blaise Cendrars, Prose du Trassibérien
Dans Aix (il y a tant de fontaines que j’ai si soif tellement), marcher ne suffit pas pour éloigner la ville. Elle est si petite. Je la trouve à chaque pas devant moi. En rentrant si tard, si tard qu’il était déjà le lendemain, je n’ai trouvé que de la fatigue, à chaque coin de rue. Il faudrait écrire des phrases plus longues qu’elle, plus vaste que la fatigue : mais la fatigue, vois-tu, est cette chose dans le ventre qui forme le corps quand on l’épuise : ce point de force où s’agglutinent tous les jours de toutes les semaines passées. Alors la phrase devient courte sous le poignet. Elle dit déjà trop de choses. Il faudrait s’en aller pour la fuir elle aussi.
Dans Aix, je pense à Montmartre (c’est à dire à Pigalle, à cette rue qui monte à pic vers la butte, et main droite, la courte impasse aux façades de verre : le nom absent sur la porte, je n’ose frapper : je n’oserai jamais), cette image de Montmartre, folie du jour dressé pour nous seul qui l’assistons. Les cadavres allongées sur les marches : les bouteilles si précisément rangées dans le hasard où on le trouve, comme il nous paraît essentiel, comme obéir à l’ordre déterminé des temps.
Mais ce soir, il n’y a pas de bouteille. Il n’y a pas de marche. Il n’y a pas d’aube. Il n’y a pas de journée qui la suit (et la voix qui récite le jour pour le lever). Il n’y a qu’un soir, de fatigue de fatigue de fatigue. Des types devant cet immeuble. Ils rient fort. Ils n’ont même pas bu. Ils sont là pour occuper le soir tandis qu’il n’y a pas d’aube. (L’aube est à Montmartre, il y a deux mois). Qu’ils stationnent, nous on se barre. Mais je suis seul quand je me retourne, une boucle de cheveux imaginaires dans la main serrée. Ailleurs se prolonge d’autres pas. Cette fontaine où je puise la soif me donne encore plus soif lorsqu’elle se vide, comme à cet instant où je pense à elle, que je m’endors au pied de ma propre fatigue, cette fatigue dont j’aurais épuisé la mort même pour me donner cette vie, toute cette vie à venir pour l’écrire.
Aix au loin continue de battre ; je suis — au loin — le bruit que fait la porte quand elle va s’abattre.