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les vents de l’orgueil, peu apaisés (crépuscules)
dimanche 8 juillet 2012
M’éloigner de vous ! Il m’importait trop, par exemple, de vous entendre un jour répondre en toute innocence à ces questions insidieuses que les grandes personnes posent aux enfants : « Avec quoi on pense, on souffre ? Comment on a su son nom, au soleil ? D’où ça vient la nuit ? » Comme si elles pouvaient le dire elles-mêmes ! Étant pour moi la créature humaine dans son authenticité parfaite, vous deviez contre toute vraisemblance me l’apprendre.
Ce qu’il reste du jour, mais qui le saura — cette lumière, où elle va, de l’autre côté pour se lever, peut-être. Oh, je sais bien, le mot crépuscule, ce qu’il veut dire : il veut dire : le début du jour et la fin de la nuit, même chose, de part et d’autre, cette lumière faible qui est la même au commencement et au terme ; de l’amour, on ne dit pas autre chose, ou on ne dit rien. Alors midi, ce n’est que l’équilibre de tout, et se tenir au milieu de ce milieu, dans le pli du livre, n’accomplit pas le mouvement qui vient rejoindre la fin depuis le début, ou le début par la fin, jamais réalisée. Non, midi n’est que le point de fuite. Une page au hasard, moi, je me tiens. C’est comme les vagues (comme les étoiles).
Veille, comme depuis les dernières lumières ; veille ce n’est rien.
Six pages aujourd’hui (jamais sept), deux bientôt, à la huitième, je m’effondre. On arrache quoi de soi dans ces phrases (qui lira ce qui s’arrache). On arrache quoi de ce qui reste de soi en ce jour qui s’achève.
Dans le vent, cheveux perdus, où, tant pis, poussent encore, le temps qui presse, vite, aller, peu importe où encore, là.
Si je perds la mémoire, plus tard, je lirai ces pages : je ne lirai rien de ma vie réelle, et tout pourtant, du reste, qui seul importe. Rien d’autre que ça. Je me tiens prêt à ma vie.
Notes arrachées au temps perdu, ce soir. Aucun compte, aucun bilan. Seulement avancer sur ma propre crête. Il n’y aura pas d’après. Quand ce travail sera fini, il faudra en trouver un autre, de même mesure, et pour même tâche de noter l’arrachement au temps.
Le soir, je viendrai vérifier que la lumière tombe pile à mes pieds (que je la ramasse, l’emporte plus loin).
Ce film — ne rien en dire qui pourrait l’abolir. Seulement une scène : sur le tombeau, raconter tout dans le mélange, et sur une même portée, l’invraisemblable et l’essentiel, et tout cela par dessus le corps mort sur lequel on se penche, comme un livre ou le désir perdu, celui qu’on va reconquérir sur le passé.
Demain, un miracle sans doute. Il faudra y croire. Se pencher sur le corps vif de ce qui commence. Regarder de tous mes yeux. Croire cela possible.
Sur la feuille tout écrire en attendant — qui lira ici ce qui seul compte (j’écris là sans me relire) ; au passage il sera midi, mais vite dans le dos, et devant la lumière tombée ou levée, je ne saurai pas, ce sera de la ville, et des corps à traverser, désirer encore, passer — je passe.