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mot pour mot
[Journal • 06.06.22]
lundi 6 juin 2022
Vaincre le hasard mot pour mot Mallarmé
Plusieurs journaux ont annoncé la mort de Lenz de son vivant, en Allemagne et en France, durant ces années où il tâchait de vivre tout au bout du XVIIIe s., quelque part entre sa chambre misérable de Moscou et quelques cafés, là où se vendait l’alcool le plus terrible et le moins cher d’Europe — quand on l’a ramassé dans une rue, ivre mort, et plus mort qu’ivre cette fois, et qu’on l’a jeté dans une fosse commune au hasard (on ne sait toujours pas où), personne n’annonça la nouvelle déjà tant de fois écrite ; le peuple en arme n’allait pas tarder à entrer de force dans le Palais des Tuileries au cri de la Liberté ou la mort et coiffer le roi du bonnet phrygien, tirer dans le ciel pour voir s’il oserait répondre : je pense au corps de Lenz sur le trottoir de Moscou pendant qu’on jetait ces cris sur Paris, je pense à l’absence des lignes qui viendront dire le lendemain de sa mort qu’un poète était mort parce qu’il avait vécu, le soir tombe : on est le 6 juin, le corps de Lenz fut retrouvé le 4 au petit matin — rien n’a eu lieu, je lis Les Soldats ce soir dans le contretemps irrésolu de ma vie.
« Depuis le temps que je suis en France, c’est plus facile pour moi de parler en français » bredouille l’homme à la barre à qui on demande de s’expliquer dans sa langue maternelle, après tout la Justice a payé assez cher un traducteur, qu’il fasse un effort — dans le compte-rendu qu’en fait la presse, rien qui ne traduise la douleur, la peine, l’humiliation, la honte, et la dignité de celui à qui l’on crache dans le français le plus impeccable.
C’est dans l’aéroport de Milan, quand on part : une maquette d’une ville faite en briques — sous ces briques posées les unes contre les autres, la ville paraît aussi élégante qu’abominable, portrait juste des viscères de la ville ou de son squelette : ce sur quoi elle tient, repose, pèse, lignes claires d’une silhouette parfaite : la ville est une brique posée sur elle-même et notre poitrine.